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Au Mexique, l'avortement n'est plus un crime. Mardi 7 septembre, la Cour suprême a jugé qu'interdire ce droit à une femme était inconstitutionnel. Sa décision s'appliquera à l'ensemble du pays où, jusque-là, la plupart des États l'interdisaient.

Qu'a décidé la Cour suprême ?

La Cour jugeait le code pénal de l'État de Coahuila, qui punissait jusqu'à trois ans de prison les femmes se faisant avorter. Elle a considéré ces sanctions inconstitutionnelles et les a invalidées. Le juge de la Cour, Fernando Franco Gonzalez Salas, a déclaré auprès du journal La Jornada que la Constitution protège le droit à l'avortement en début de grossesse, si le fœtus n'est pas viable, si la santé de la mère est en danger ou si elle est enceinte contre son gré.

Que va changer sa décision ?

L'IVG reste interdite dans les codes pénaux de 27 autres États. Mais la justice fédérale pourra, soit annuler une procédure en justice contre une femme qui a avorté, soit ordonner à un établissement de santé de pratiquer l'intervention.

L'État de Coahuila où les articles du code pénal ont été invalidés est frontalier du Texas. Certains imaginent déjà la possibilité que des femmes de cet État américain, où le droit à l'avortement va être considérablement restreint, viennent au Mexique pour recourir à une IVG. 'état>

Quelle était la situation avant ?

Le Mexique est un pays où la religion catholique est majoritaire à 77,7 %. Avec sa construction fédérale, les 32 États du Mexique établissent leurs lois de façon indépendante. Seuls quatre États autorisaient l'avortement avec un délai de douze semaines de grossesse, dont celui de Mexico où il est accessible gratuitement dans les cliniques de la mairie, pour toutes les Mexicaines.

D'après la juge Ana Margarita Ríos Farjat, 350 000 à un million d'IVG sont pratiquées chaque année au Mexique. L'avortement non médicalisé y est la quatrième cause de décès maternel, selon le Groupe d'information sur le choix reproductif (GIRE) (https://reproductiverights.org/fr/) qui lutte pour le droit à l'avortement.

Laura Remoué

Michel Serfati et Gilles Hargous © Yasmine Guénard-Monin

« Le livre sert essentiellement à s’évader ». Crane rasé, polo noir et baskets, Gilles Hargous, quarante-huit ans, originaire du Pays basque, travaille depuis trois ans à la maison d’arrêt de Strasbourg. Son boulot ? Gérer la bibliothèque. Et permettre ainsi aux détenus de « voyager en dehors des murs ».

Une forte demande, au delà des clichés

Gilles Hargous sourit en décrivant les « gros loubards »  qui empruntent des romans érotiques et poèmes d’amour, quitte à les dissimuler sous un autre livre pour ne pas s’exposer à l’infamie qui, chez les hommes, menace les sentimentaux. Ce sont en réalité surtout les romans policiers, biographies, BD et essais de psychologie, religion ou développement personnel qui ont la cote, ainsi que la page faits-divers des DNA. Le bibliothécaire se félicite d’avoir obtenu une liberté d’acquisition quasi-totale, la direction n’exigeant de consulter les listes d’ouvrages demandés que pour un nombre très restreint de détenus. Le public rassemblé dans l’Espace Étoile de la Maif, où il intervient au côté de l’écrivain Michel Serfati dans le cadre du festival des Bibliothèques idéales, est suspendu à ses lèvres.

Si certains détenus rapportent des livres dans leur cellule afin de rêver ou de passer le temps autrement qu’en regardant la télévision, allumée toute la journée au point de devenir parfois insupportable, d’autres préparent leur vie au-delà de l’enceinte carcérale en apprenant le français ou en obtenant un diplôme. D’autres encore empruntent des livres qu’ils ne lisent pas afin de gagner deux ou trois jours de remise de peine, un système entré dans la loi en 2014 grâce à l’action de l’association Lire pour en Sortir. Mais ces détenus sont « totalement à la marge », assure le bibliothécaire, qui peut constater aux pages décollées et au dos plissé des livres rendus que la plupart sont bel et bien lus. Il compte cependant mettre en place des fiches de lecture, pour les volontaires, afin d’inciter à lire les livres.

Système D

Ils sont environ 540, dont 19 femmes et 17 mineurs, à être incarcérés en détention provisoire ou pour des peines de moins de deux ans à la maison d’arrêt de Strasbourg, quartier de l’Elsau, d’après le décompte effectué par l’Observatoire international des prisons début 2021. Pour 427 places et huit bibliothèques : une centrale, « le QG » et une par quartier de détention, que Gilles Hargous gère avec l’aide de bénévoles et de détenus sélectionnés par l’administration. « Mais je n’ai pas le droit de pénétrer dans le quartier disciplinaire », précise le bibliothécaire. Là-bas, pas de salle de lecture, mais des chariots poussés par les surveillants d’une cellule à l’autre.

Le budget, entre 4 500 et 5 000 euros par an hors manuels scolaires pour les majeurs, n’est « pas énorme », reconnaît M. Hargous. « Dans le milieu pénitentiaire, on recourt très souvent au système D », relève-t-il. C’est-à-dire à des partenariats avec des librairies, qui font don de livres non corrigés et de revues destinées au pilon, avec Emmaüs ou encore avec les consulats pour se procurer des ouvrages en langue étrangère, chers et rares. Cependant, il préfère limiter les dons de particuliers, refusant catégoriquement pages jaunies et vieilles éditions : « On ne fait pas les difficiles, mais c’est un public qui, à l’extérieur, était très éloigné du livre, explique-t-il. C’est primordial de présenter d’abord un objet. Un livre, ça doit être beau ».

Pour Gilles Hargous, une tradition familiale

Après dix-huit années à tenir des centres de documentation et d’information (CDI) dans des collèges et lycées, M. Hargous a postulé pour être détaché en prison. Il s’inscrit ainsi dans une tradition familiale – sa mère et sa grand-mère étaient visiteuses de prison – et renoue avec un intérêt développé alors qu’étudiant, il donnait des cours de soutien à des détenus au sein de l’association Genepi. Surtout, il a cherché à « redonner du sens à l’intervention pédagogique ». Une certaine amertume pointe dans sa voix quand il évoque les élèves rechignant à assister aux ateliers qu’il proposait dans les établissements scolaires. À la maison d’arrêt, en revanche, « alors que le niveau scolaire général est assez bas, le public est très demandeur ». Gilles Hargous estime à 5 500 le nombre de livres empruntés chaque année dans la maison d’arrêt, et encore, sans compter les mineurs. C’est plus du double que dans le lycée où il travaillait auparavant.

Yasmine Guénard-Monin

« Six ans après, j’ai encore des blancs sur ce qu’il s’est passé cette nuit-là », raconte Thomas Schneider. Cet ouvrier, également pigiste culturel aux Dernières Nouvelles d’Alsace de Strasbourg et de Haguenau, fait partie des survivants de l’attaque du Bataclan. À la veille de l’ouverture de cette audience historique, l’homme de 30 ans n’est pas anxieux, même s’il appréhende un peu les prochains mois. Il est l’une des 1 765 parties civiles qui témoigneront devant la barre à partir du 28 septembre.

Le rythme de la batterie, le même que celui des kalachnikovs

Ce soir-là, avec sa meilleure amie, ils étaient au premier rang dans la fosse, pour assister au concert de Eagles of Death Metal. Ce passionné de rock se souvient s’être placé à « 10 ou 15 mètres d’une sortie de secours », chose qu’il fait aujourd’hui mécaniquement, comme un instinct de survie. Assis à la terrasse d’un café, Thomas partage les quelques photos et vidéos prises ce soir-là. D’abord une photo de la salle de spectacle, qu’il trouvait particulièrement belle, puis le groupe de rock jouant, synonyme de vie : « Une ambiance de fou ! » La dernière photo, floue, est prise à 21 h 47. L’heure exacte à laquelle les terroristes se sont engouffrés dans le Bataclan. À cet instant, tout s'enchaîne. Alors que résonne la chanson Kiss the devil, Thomas entend comme des bruits de pétards. « Tu vois ce que ça veut dire ? questionne Thomas. Le rythme de la batterie, c’était exactement le même que celui des kalachnikovs. » Il imite les bruits des armes lourdes. Thomas se rappelle de la cohue et d’avoir marché sur des corps sans vie. Les deux meilleurs amis sortent finalement indemnes physiquement du Bataclan. Les heures suivantes, ils les passeront dans un appartement près de la salle de spectacle, jusqu’à quatre heures du matin.

Les concerts comme thérapie

Comment se reconstruire après une telle épreuve ? « Bonne question », répond Thomas en riant. « Pendant six ans, j’étais dans le déni, je faisais beaucoup de cauchemars et j’étais toujours en hypervigilance », précise-t-il. À chaque bruit sourd provoqué par des motos, il se retourne et observe ce qu’il se passe, comme s’il cherchait à savoir d’où viennent ces grondements. Après la phase de déni, il n’arrivait plus à dormir. Alors, il s’est mis à boire pour trouver le sommeil. Il a mis six mois avant d’accepter de consulter une psychologue. Aujourd’hui, Thomas n’a plus besoin d’alcool pour s’endormir.

Après avoir sympathisé avec les membres de Eagles of Death Metal, il a été invité par l’un d'entre eux à Los Angeles. Cette nuit-là ne l'a pas empêché de retourner en concert. Il se dit même encore plus passionné qu’avant par le rock. Trois semaines après avoir vécu l’insoutenable, il foule de nouveau le sol des salles de concerts. « C’était comme une thérapie. Ne plus retourner à un concert, ça aurait été leur donner victoire ! J’ai pas envie de m’arrêter de vivre. » En 2016, il retourne au Bataclan alors qu’il est en travaux. En février de la même année, Eagles of Death Metal s’est produit à l’Olympia devant des victimes et rescapés de l’attentat. Celui qui s’est tatoué un cœur brisé pour se rappeler qu’il a échappé à la mort y était. Une évidence pour le jeune homme.

Un procès pour tourner la page

Mais aujourd’hui, la culpabilité le hante. Il se demande souvent pourquoi il est encore en vie et pas d’autres personnes. Mais Thomas a tout de même hâte de voir de ses propres yeux Salah Abdeslam, « le type s’en tire. Il est dans sa prison et ne se rend pas compte de ce qu’il a fait ». Il espère qu’il parlera, même s’il ne compte pas que sur lui. Le survivant attend également des explications des anciens représentants de l’État, sur le retard qu’aurait pris la BRI (brigade de recherche et d'intervention) à intervenir au Bataclan. Ce procès va clore un chapitre de la vie de ce grand gaillard au crâne rasé. « Depuis six ans, on témoigne qu’auprès des médias, ça n’a aucune valeur juridique », dit-il. En attendant de pouvoir se rendre à la barre, Thomas suivra tous les jours le procès grâce à la webradio mise en place pour les parties civiles qui ne sont pas sur place.

Camille Bluteau
 

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