Comme cet ingénieur, de nombreux entrepreneurs s'intéressent aux possibilités qu'offrent les technologies numériques. Après la machine à vapeur, l’utilisation de l’électricité puis l’automatisation des machines, le 4.0 serait la quatrième révolution industrielle. Elle se caractérise par le recours aux technologies du numérique (réalité augmentée, intelligence artificielle, etc.) et à des machines connectées entre elles, capables de capter et de gérer, sans intervention de l’homme, une grande quantité d’informations. Le terme d'« industrie 4.0 », venu d'outre-Rhin, est en fait un label qui désigne la stratégie de développement du numérique dans les entreprises mise en place par le gouvernement allemand. Le concept a rapidement fait des émules et été copié à travers le monde. En France, il se décline plutôt sous la forme d'« industrie du futur », nom sous lequel a été lancé, en avril 2015, le projet du gouvernement français visant à transformer le modèle industriel par le numérique. « Au départ, on pensait que c'était seulement une mode, mais il s'agit d'un vrai mouvement mondial, juge Isabelle Botzkowitz, présidente d'Alsace Tech, un organisme chargé de mettre en réseau les grandes écoles d'ingénieurs, d'architecture et de management avec les entreprises locales. L’industrie 4.0 a des implications à la fois sur les techniques de production, sur le commercial et l’administratif. »
Produire sur-mesure... à l'échelle industrielle
L’Alsace compte au moins deux exemples aboutis d’entreprises ayant engagé ce genre de transformations. Le premier est le groupe Schmidt, spécialisé dans le mobilier de cuisine, via sa franchise Cuisinella. Dans son usine de Sélestat, les lignes de montage sont capables de produire des meubles de taille et d’aspect différents. Cela permet de proposer du sur-mesure aux clients, là où, avec une production à la chaîne traditionnelle, il n’est possible que de proposer un produit standardisé. « Nous offrons un degré de personnalisation comparable à celui d’un artisan, mais à l’échelle industrielle, c’est-à-dire produit bien plus rapidement, explique Tristan Cenier, animateur d'innovation chez Schmidt. La gestion des données nous permet également de coordonner l’activité de nos deux usines, pour fabriquer au moment où il y a un besoin et donc de minimiser les stocks. » L’usine PSA de Mulhouse a quant à elle lancé une nouvelle ligne de production en mars 2017, au prix d’un investissement de 400 millions d’euros. Elle est censée représenter la vitrine de l’usine du futur voulue par le groupe. Elle fonctionne en « monoflux intégral » : les différents modèles de voiture peuvent être assemblés sur une même ligne de montage. La logistique a été entièrement repensée : les pièces sont préparées à l’écart par des ouvriers puis acheminés par des chariots à guidage automatique sur la ligne de montage, où les opérateurs s’activent, épaulés par toutes sortes de robots et matériels connectés.
Éleveur de vaches de troisième génération, Raphael Baumert a numérisé sa production en 2008. Plus de lait, plus de flexibilité mais pas moins de travail : sa vie d’agriculteur se passe entre l’étable, les champs et le bureau.
Après la machine à vapeur, l'électricité et l'automatisation de la production industrielle, une nouvelle révolution des méthodes est en marche : l'industrie 4.0 fait entrer les technologies du numérique, la réalité augmentée et l'intelligence artificielle à l'usine.
Tandis que Raphael Baumert essaie de résoudre le problème de son usine de méthanisation des déchets, les vaches ruminent tranquillement. Lorsque l’une d’elles ressent le besoin d’être traite, elle entre dans le box. Le robot se connecte avec le capteur individuel que chaque animal porte autour de sa cheville. Il sait donc toujours quelle vache se trouve dans le box et combien de lait elle donne en moyenne. Mais aussi quelle dose de fourrage concentré elle doit recevoir. L’ensilage tombe dans un récipient intégré au robot, pendant que la machine fait son travail. Le processus de traite est complètement automatisé et toutes les informations récoltées sont envoyées aux ordinateurs, dans le bureau des Baumert.
« Les deux premières années ont été l’enfer, avoue Karl-Philipp Baumert. Il a fallu un an pour que les vaches comprennent comment cela fonctionnait. Aujourd’hui encore, il faut parfois les pousser dans le box de traite. Pour nous aussi, ça a été un sacré changement. » D’un côté, plus de flexibilité et un travail moins pénible, de l’autre, une dépendance à la technologie dont les problèmes ne peuvent pas être toujours résolus rapidement. « Un jour, raconte-t-il, la foudre a coupé l’électricité et a endommagé le robot. Les vaches n’ont pas pu être traites pendant 17 heures. Les pièces de rechange et le mécanicien se trouvaient à une centaine de kilomètres. Il a fallu réinstaller l’ancienne machine pour soulager les vaches jusqu’à que le robot soit réparé. » Mais il n’y a pas de nostalgie dans les yeux de Karl-Philipp Baumert. « Avant, le travail était plus dur », se souvient-il.
Il faudrait un règlement au niveau européen. L’harmonisation de la protection des données qui sera appliquée à partir de mai 2018 est déjà un pas en avant. Mais on freine encore trop les jeunes entreprises : quand une start-up doit jongler entre les différentes lois du travail et les régulations d’hygiène et de sécurité de chaque pays, le marché européen perd en attractivité. On parle de 500 millions de consommateurs, plus qu´aux Etats-Unis, mais on n’a pas réussi à faire naître une seule entreprise dans les dix dernières années qui serait comparable avec les réussites américaines comme Uber, Airbnb ou Facebook.
Qu’est-ce qui explique la force des entreprises numériques américaines ?
Elles ont grandi sur le marché américain qui est très harmonisé. De très grandes entreprises se sont créées très vite. Avec tout leur pouvoir, elles arrivent sur le marché européen et ont assez de ressources pour s‘adapter. 52 % des services numériques utilisés en Union européenne sont américains. Cela devient une question géopolitique : avec les données collectées, ces entreprises génèrent des algorithmes et développent des stratégies d’intelligence artificielle. Google collabore avec le gouvernement américain pour améliorer les drones militaires. Si l’Europe veut moins s’appuyer sur les États-Unis, il faut qu’elle rattrape son retard.
Quel est l’avenir du numérique en Europe ?
Plusieurs acteurs trouvent que la Commission européenne ne va pas assez loin. Le marché du numérique fait des mises à jour importantes, mais cela ne suffit pas. Une idée pour réduire la fragmentation règlementaire serait de donner un statut spécial aux start-up le temps de leur lancement : en leur enlevant les obstacles réglementaires, elles grandiraient plus vite. Selon cette idée, elles pourraient travailler pendant quelques années sous les règlements de leur pays d’origine au lieu de s’adapter aux lois françaises par exemple, concernant le travail, l’hygiène ou la sécurité. Ce principe serait imaginable comme initiative franco-allemande, mais aussi avec d’autres États comme les pays du Benelux qui ont le même niveau en terme d’économie et de sécurité sociale. Le concept serait novateur mais je suis sceptique sur le fait que cette approche soit conforme au droit européen. Et tant que l’idée de la souveraineté étatique domine en Europe, un accord commun sur l’avenir numérique sera difficile à trouver.
Quelle est la situation du numérique en France et en Allemagne ?
Dans les deux pays, les discussions tournent autour des mêmes sujets, comme la numérisation de l’éducation et des services publics. Le gouvernement Macron a l’ambition de numériser la plupart des services : la CAF, les actes de naissances, les impôts... La France, pays centralisé, peut lancer des initiatives de manière plus efficace. Dans l’industrie numérisée par contre, autre axe important, c’est l’Allemagne qui est le leader mondial et « l’industrie du futur » à la française s’en inspire. Le premier enjeu reste l’installation de la fibre optique sur l’ensemble des deux territoires.
Les responsables politiques français et allemands parlent beaucoup de la numérisation, ils veulent se démarquer avec ce sujet opportun. Mais ils ne peuvent pas faire plus que moderniser l’administration et l’infrastructure car les décisions cruciales sont prises au niveau européen. La numérisation est une chance pour l’Union européenne : elle permet d’échanger des services numériques d’un pays à l’autre grâce aux applications et aux logiciels, comme Foodora (qui livre des repas à domicile, NDLR). C’est la stratégie du « marché unique du numérique ».
Quelles sont les conditions pour que les jeunes entreprises puissent profiter du marché unique du numérique ?