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"On a eu une animatrice à l’Aquarium pendant cinq ans. Les filles étaient plus nombreuses à venir mais par manque de financement, on n’a pas pu renouveler son contrat, admet Mohamed Khettab. On essaye tout de même de motiver les filles à nous rejoindre en organisant des activités comme du fitness et de l’aérobic. Ponctuellement, nous recrutons également des animatrices."

Un lieu, deux univers

"Les filles vont à la danse en haut, en bas, c’est les garçons", explique un collégien en poussant la porte de la sortie. De l’extérieur, à travers la grande baie vitrée du premier étage, on peut apercevoir les danseurs et danseuses en pleine chorégraphie. "Il y a autant de filles que de garçons ici", dément Zeyneb, qui vient régulièrement avec ses amies. Dans cette salle de danse flanquée de deux larges miroirs, ni cours ni professeur : ici les jeunes s’expriment et échangent librement. Muni de son enceinte, chaque petit groupe de danseurs s’approprie un coin de la salle. Les musiques s’entremêlent, créant un brouhaha qui ne les empêche pas de se lancer dans une danse associant K-pop et popping. Ils ont fait de la salle leur petit royaume. Rares sont ceux qui vont au rez-de-chaussée, "On entre et on sort par la sortie de secours", confirme Rayan, le doigt pointé vers la porte menant à l’extérieur. Contrairement au rez-de-chaussée, les jeunes n’habitent pas que Cronenbourg. "Les danseurs viennent de partout, il y en a du centre-ville, de Lingolsheim, voire même d’Illkirch", indique-t-il entre deux pas de danse.

"Je te donne deux balles si tu le fais", glisse Karim à un collégien. "Bam, bam, bam !" Prenant au sérieux son rôle de messager, l'adolescent frappe à la porte de secours, interrompant la chorégraphie des filles. Il invite l'une des danseuses à venir voir Karim. Il retourne bredouille voir son aîné. La fille aux cheveux longs ne veut pas descendre.

Manal Fkihi et Romain Cazé

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Perette Ourisson, présidente de l'association Ballade, travaille de pair avec son conjoint Jean-Claude Chocjan. © Léa Giraudeau 

Accoudé au comptoir, Abdelkader Khellaf, un des cinq animateurs, surveille discrètement la cafèt’. Devant lui, les fauteuils et les sièges rouge pétant disséminés un peu partout dénotent avec le décor un peu sombre de la pièce. Seuls les éclats de rire et les discussions animées des jeunes apportent de la gaieté à cet espace pauvre en couleurs. Difficile de rater la boule à facettes au milieu de la pièce et les strobes suspendus au faux-plafond. "On loue la salle 20 euros pour les anniversaires", précise Mohamed Khettab. Sur la droite, se trouve le modeste cyber-centre où seulement quatre ordinateurs sont mis à disposition des usagers. "Je viens ici pour jouer aux jeux vidéo quand j’ai pas de devoirs", raconte Abdoulah, absorbé par une partie de Fortnite.

Ça s'en va et ça revient

Au gymnase, à côté de la cafèt', des jeunes occupent les deux tables de ping-pong. D’autres s’exercent au shoot sur le panier de basket. Après une brève partie de tennis de table, deux collégiens se précipitent dehors, pour revenir à peine quelques minutes plus tard. Les va-et-vient sont incessants. L’Aquarium est un lieu ouvert et gratuit où aucune inscription n’est demandée aux jeunes qui peuvent profiter des équipements en libre accès. "Dans d’autres structures, il y a plein de jeunes qui ont besoin d’être accompagnés mais qui n’osent pas y aller à cause du cadre trop formel. Ici, on a voulu simplifier les choses pour attirer le maximum de personnes", détaille Mohamed Khettab. Certaines activités restent néanmoins 

payantes : l’accès à la salle de musculation coûte 38 euros l’année ; pour la boxe, c’est 85 euros. 

"Elles savent qu’il ne faut pas venir"

Ce pari d’ouverture n’est pas gagné. L’Aquarium reste majoritairement fréquenté par les garçons de la cité. "Il n’y a jamais de filles de notre âge ici, elles savent qu’il ne faut pas venir", lance Karim, 17 ans, une fois la partie de baby-foot terminée. Le coordinateur explique cette absence par la pression que subissent les filles de la part de leur famille : à partir de l’adolescence, il serait mal vu qu’elles se mélangent aux garçons. "L’image et la réputation sont très importantes dans le quartier", regrette Mohamed Khettab. "On allait à l’Aquarium avant mais à un moment c’est devenu gênant de se retrouver seules parmi les garçons", témoignent deux lycéennes à l’arrêt de bus Arago.

Assises sur les fauteuils rouges devant la télé, Elise et Aylin, âgées de 11 ans, ont les yeux rivés sur un documentaire animalier. "C’est ma grande sœur qui me disait de ne pas venir à l’Aquarium car c’est pour les garçons. Une fois, je passais à côté avec mes copines et on a vu des filles à l’intérieur. Depuis, on vient souvent ici", raconte Aylin.

Si des collégiennes fréquentent l’Aquarium, elles restent largement minoritaires. Parmi les visiteurs, en moyenne une personne sur treize serait une fille, d’après les animateurs. Le manque de mixité dans la structure se constate également au niveau du personnel. À l’exception de Zoé, embauchée en novembre et chargée du développement du pôle famille, l’équipe est intégralement masculine. 

Aujourd’hui, les façades bétonnées, noircies par de multiples incendies, confèrent aux tours Kepler un aspect lugubre. Mais, "il y a 30 ans, c’était le luxe ici, s’exclame Sukran. Maintenant, on ne touche à rien. Les portes, on les pousse avec les bras". Cafards, humidité, poubelles abandonnées, trous au plafond, mégots de cigarettes qui jonchent le sol… Les habitants ont le sentiment qu’Ophéa abandonne leur tour alors qu’elle est encore habitée.

L'album photo du Vieux-Cronenbourg

13 novembre 2019

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Destructions, rénovations, constructions : depuis 1914, le visage du Vieux-Cronenbourg a beaucoup changé. Images d’archives et photos récentes permettent de remonter dans le temps ...

"Bouge, t’es trop nul". Dans la cafèt' au fond du couloir vient de s’achever une partie enflammée de baby-foot."Je prends la gagne", crie un nouvel arrivant aux jeunes joueurs absorbés par le match. "On vient à l’Aquarium parce qu’en ce moment il fait froid et puis on n’a rien à faire dans le quartier", raconte Chouaib, 17 ans, sans quitter la balle des yeux. L’Aquarium, une annexe du CSC Victor-Schoelcher, est implanté au cœur de la Cité nucléaire, à Cronenbourg. "Avant, il y avait un aquarium à l’entrée, ce qui a donné le surnom au lieu. Avec le temps, c’est resté", raconte Mohamed Khettab, responsable du secteur jeunes et coordinateur.

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© Juliette Fumey

Au sein de l’équipe fanion, son entraîneur Mohamed Khettab observe "la présence de joueurs d’origine maghrébine, turque, africaine". Cette mue a été constatée par Jean-Christophe Pasqua, journaliste aux Dernières Nouvelles d’Alsace spécialisé dans le foot local : "Le nouveau président fait vraiment sortir le club de la logique communautaire. Les relations avec les journalistes sont allées en s’améliorant depuis son arrivée."

Une ouverture sur le quartier

Les dirigeants du club ne font pas mystère de l’élan communautaire qui a animé l’Olympique à ses débuts, au point de reprendre le drapeau national turc en guise de blason. Dorénavant, sur et autour du terrain, les expressions et noms turcs côtoient les idiomes du monde entier, preuve que le club "s’est ouvert", selon le président Aziz Soylu. Symbole de cette transformation, le renouvellement de l’emblème de l’équipe : un footballeur en action s’est substitué au drapeau. Seules les couleurs du pays (rouge et blanc) et deux étoiles blanches à cinq branches renvoient à la Turquie.

Pour se développer, accueillir de nouveaux joueurs et se lier au quartier, Omer Sahin s’est rapidement aperçu que "ça ne pouvait pas marcher en restant entre Turcs". Certains anciens se sont opposés à cette ouverture et Aziz Soylu a dû se résoudre à "dégager" les récalcitrants.

"C’est fermé partout. On ne sait pas ce qu’il se passe là-dedans", s’exclame Claude, sexagénaire, à l’arrêt de bus Arago, rue Paul-Langevin, à 150 mètres du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). "Les gens du quartier ne nous connaissent pas et nous ne les connaissons pas", lui fait écho Céline Delalex, responsable communication du CNRS en Alsace.

En 1943, durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands installent à Strasbourg un accélérateur de particules à l’actuel emplacement de l’hôpital civil. Après leur départ en 1944, la France récupère l’équipement. Il est déplacé dans le nord de Strasbourg en 1960, date à laquelle l’antenne de Cronenbourg du CNRS est inaugurée. Le lieu est choisi pour le faible coût du terrain et l’espace disponible. En 1965, la Cité nucléaire accueille ses premiers habitants. Elle compte de nombreux chercheurs séduits par la qualité des constructions et la proximité avec leur lieu de travail.

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