13 mars 2025
Pour débloquer les 210 milliards d’euros d’avoirs russes gelés dans l’Union européenne, afin d’aider l’Ukraine, les eurodéputés sont confrontés à un problème complexe : cet argent est protégé par le droit international. Entre acrobatie juridique et prudence diplomatique, le Parlement a débattu d’une solution ce 12 mars.
L’heure du réveil menace de se rapprocher pour les 210 milliards d’euros d’actifs russes qui dorment dans les banques européennes. Ces fonds, appartenant en majorité à la Banque centrale de Russie et, pour une petite partie, à des oligarques, ont été suspendus par l’Union européenne dès le début de la guerre. Depuis février 2024, les intérêts générés par ces avoirs (environ 3 milliards d’euros par an) sont utilisés pour aider l’Ukraine.
Lors d’un débat sur le sujet en plénière mercredi 12 mars, une majorité du Parlement européen a demandé une confiscation immédiate des avoirs dans leur totalité. A l’image de Raphaël Glucksmann du groupe de gauche S&D, les eurodéputés s'appuient sur le principe de contre-mesure en droit international : un Etat agressé peut demander des sanctions contre l’Etat agresseur. L’Ukraine pourrait alors légitimement demander la saisie complète des fonds.
Lors du débat, la députée Merja Kyllönen du groupe de gauche radicale The Left a appelé à la saisie des avoirs russes. ©Michel Christen
Trouver une solution juridique viable
Pas si simple, selon Marie Fernet, avocate spécialisée dans le commerce international, car ces avoirs sont aussi protégés par le droit international. Ces fonds appartiennent à la Russie. Pour confisquer cet argent, il faudrait qu’un texte ou une procédure dans un tribunal d’un pays européen le permette comme sanction contre la Russie. Or, « on ne peut pas normalement poursuivre un État devant la juridiction d’un autre État, c’est le principe d’immunité souveraine », explique Marie Fernet. Si la confiscation pure et simple des avoirs était décidée par l’UE, elle pourrait être remise en question par le droit après coup. Marie Fernet prévient : « Si on considère que la saisie n’est pas conforme, l’UE sera peut-être condamnée par la Cour de Justice de l’UE ou par un tribunal national. » Alors, les États européens pourraient être contraints de rembourser les avoirs.
Face à ce flou juridique, certains eurodéputés tempèrent et s'éloignent des grands effets d’annonces. Sandro Gozi, du groupe libéral Renew, regrette : « Si on pouvait confisquer ces fonds tout de suite, je serais le premier à le faire. » Pour « éliminer le risque juridique », son groupe propose une « approche en deux phases ». Il pousse pour « utiliser sans confisquer » les avoirs dès maintenant comme « garantie de prêt » contracté par l’Ukraine. Cette garantie permettrait alors de faire pression sur la Russie. Quand la paix sera signée, les avoirs pourraient être saisis pour payer les réparations demandées par l’Ukraine à la Russie. « Si Moscou refuse de verser les dommages, alors l’Ukraine conservera les avoirs », abonde Valérie Hayer, la présidente du groupe centriste.
Brouillard givrant
Chez la gauche radicale, on a du mal à se mettre d’accord. Manon Aubry, présidente du groupe The Left, l’avoue : « le groupe est relativement divisé sur la question ». Manon Aubry trouve que la saisie des avoirs est « une fausse bonne idée » trop risquée diplomatiquement, tandis que la député finlandaise Merja Kyllönen, du même groupe, a appelé pendant le débat à « ne pas se cacher derrière des principes juridiques » et à transférer immédiatement les fonds à l’Ukraine. De l’autre côté de l'hémicycle, le groupe d’extrême droite PfE où siègent des eurodéputés du Fidesz hongrois, ouvertement russophile, ne trouve pas non plus de position commune. Le président du groupe Jordan Bardella se dit « très réticent » à l’idée de la confiscation, craignant que les entreprises européennes présentes en Russie subissent des mesures de rétorsions.
Ces désaccords profonds rendent la négociation d’une future position commune difficile. Si les députés arrivent à un consensus, le Parlement devrait voter, à la session plénière d’avril, une résolution pour la confiscation des avoirs russes, ce qui pourrait faire pression sur la Commission européenne, qui reste jusqu’à présent très frileuse.
Titouan Catel--Daronnat, Eva Billion-Laroute