13 février 2025
Les élections européennes ont vu le poids de l’extrême droite se renforcer. Occuper 25 % de sièges dans l’hémicycle favorise son influence et pousse le PPE à collaborer avec elle. Une situation sur laquelle alertent les sociaux-démocrates et écologistes.
Le cordon sanitaire lâche-t-il du lest entre conservateurs et extrême droite ? Cette pratique politique du "cordon sanitaire" qui consiste à refuser que tout poste ou texte important soit accordé à la droite la plus radicale est remise en question. Le groupe européen Social & Démocratie (S&D, gauche) a inscrit à l’ordre du jour de la plénière, ce mercredi 12 février, un débat sur le rapprochement entre le Parti Populaire Européen (PPE, droite), le groupe majoritaire au Parlement, et les groupes d’extrême droite. Les parlementaires socialistes veulent pointer du doigt "la politique d’alliance avec l’extrême droite de Manfred Weber, le président du parti". Ce débat a été vivement critiqué par les principaux concernés : "Quelle discussion et titre absurde alors qu’il y a de vrais problèmes en Europe", a fustigé Markus Buchheit, député allemand d’ESN (Europe des nations souveraines, extrême droite)
Thomas Pellerin-Carlin, député français S&D prend la parole lors du débat d'actualité © European Union 2025 - Source : EP
Depuis les élections européennes de 2024, les groupes d’extrême droite occupent un quart de l’hémicycle, soit 187 sièges sur 720. Ils représentent la deuxième force politique au Parlement, juste derrière les 188 sièges du PPE. Mais s’ils sont nombreux, ils sont aussi divisés en trois groupes. Identité et Démocratie, reconfiguré en Patriotes pour l’Europe (PfE), rassemble des forces comme le Rassemblement National (RN) ou le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ). Impulsé par Viktor Orban, c’est la formation d'extrême droite la plus importante de l’hémicycle. Plus à droite de l’hémicycle encore, l’Europe des nations souveraines (ENS), mené par les députés de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD). On y retrouve notamment l'eurodéputée de Reconquête.
Une extrême droite qui rebat les cartes
Un groupe détonne parmi ceux d’extrême droite, celui des Conservateurs et réformistes européens (ECR). Même si René Repasi, député allemand S&D rappelle que traditionnellement : "ECR est hors du cordon sanitaire", les élections ont vu Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de Giorgia Meloni, le rejoindre. Une présence qui a fait basculer le groupe du côté d’ENS et du PfE.
Pour Estelle Delaine, maîtresse de conférence en science politique, le cordon sanitaire est remodelé à mesure que l’extrême droite grossit dans l'hémicycle. Un constat établi depuis 2019. "Le système politique européen facilite les échanges avec des groupes d’intérêts [et] pose aussi la question de [se] connecter ou non avec le groupe conservateur ou le PPE", précisait-elle dans un séminaire de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) en janvier. Cette situation permet l’accès à des positions clés. En décembre, Sarah Knafo, eurodéputée de Reconquête, est nommée rapporteure d’un texte sur la souveraineté numérique européenne. Un rôle qui questionne : le PPE votera-t-il les conclusions de cette législation, risquant à nouveau de rompre le cordon sanitaire ? "Ce n’est pas l’auteur de la requête qui importe mais le contenu", a justifié le député autrichien Lukas Mandl (PPE) au Parlement.
Un PPE en position de pivot
Soutien traditionnel des libéraux et des sociaux-démocrates, le PPE est désormais enclin à voter avec les groupes d’extrême droite et à s’approprier certains de leurs thèmes. "Comme ceux-ci sont plus nombreux, ils ont une influence politique et ça déborde. On le voit en Allemagne, l’AfD explose et les partis à côté reprennent les idées", déclare Yves Bertoncini, consultant en affaires étrangères. Cette alliance nouvelle des droites au Parlement européen a permis, en octobre dernier, l’adoption d’une résolution sur le budget demandant à l’UE de financer la construction de murs à ses frontières extérieures pour endiguer l’immigration. "Le PPE c’est le groupe pivot, soit il pivote vers le centre et la gauche, soit vers la droite ou l’extrême-droite", poursuit-il.
Si cette influence continue de grandir, certains espèrent que les prochaines élections fédérales allemandes changent la donne. "On peut espérer qu’avoir un chancelier CDU calme le PPE et qu’il se dise qu’il ne faut pas faire de coalition avec les droites extrêmes mais une coalition avec le centre, la gauche et les écolos", souhaite l’eurodéputé S&D Raphaël Glucksmann.
Jeanne Paumier et Jade Santerre