Faire face au désordre
Un accident de la route est un événement imprévu, parfois tragique et souvent traumatisant. Lorsque cela se produit, la société s'organise pour répondre du mieux qu'elle le peut à ce type de sinistre. À un endroit qui était auparavant semblable à d'autres sur des milliers de kilomètres de routes, de multiples professions se croisent et doivent travailler ensemble pour prendre en charge les victimes, les personnes impliquées et les véhicules.
Dans la nuit du samedi 6 décembre au dimanche 7 décembre 2014, une Citroën Xantia fait une sortie de route dans la montée du Nideck, à environ neuf kilomètres d'Oberhaslach. Il est aux alentours de minuit lorsque la voiture se déporte du côté droit de la route et heurte un poteau électrique, arraché par le choc, pour finir sa course contre un arbre. À l'intérieur, trois personnes. Le conducteur et le passager arrière s'en sortent indemnes. Le passager avant droit, un homme de 65 ans, est déclaré décédé par les services du SAMU une dizaine de minutes après leur arrivée sur les lieux de l'accident.
Quelques minutes après la sortie de route, le Centre de traitement des appels du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Bas-Rhin est prévenu et engage d'importants moyens. Des sapeurs-pompiers d'Urmatt et du centre des secours principal de Molsheim sont envoyés sur place, rejoints par une équipe du SMUR de Sélestat, un médecin d'astreinte du SAMU de Strasbourg et deux gendarmes venus de Saâles.
Mais les services de secours ne sont pas les seuls à se déplacer sur les lieux de l'accident. D'autres professions s'y retrouvent, dépanneurs, employés du conseil général, techniciens de l'Électricité de Strasbourg, employés des pompes-funèbres et parfois des témoins.
Tommy Cattaneo
Les sapeurs-pompiers de Molsheim
“ C'est plus facile d'être confronté à quelqu'un qui sort de la voiture en vous disant j'ai un peu mal au cou
témoignage...Beaucoup de moyens engagés
closeLe lieutenant Jean-Philippe Bolis, ce soir-là chef de groupe des sapeurs-pompiers, a été l'un des premiers à intervenir sur les lieux de l'accident. Une quinzaine de personnes au total, et beaucoup de moyens engagés. « Deux ambulances, avec un véhicule de secours routier, un fourgon pompe-tonne, et un groupe de désincarcération. Il y avait aussi un véhicule de balisage. On a été renforcés par un VL [véhicule léger] du Smur de Sélestat et un VL du Samu de Strasbourg. »
Sur un accident de la route, le chef de groupe est le responsable des opérations de secours. Il coordonne l'intervention des sapeurs-pompiers et des personnels du Samu présents sur place, et sert d'interlocuteur à toute personne présente sur le site.
« Il y a certains types d'intervention où on a besoin de la psychologue »
Premiers concernés par les interventions sur les accidents de la route, les sapeurs-pompiers du Sdis 67 ont la possibilité de demander une prise en charge psychologique en cas de traumatisme lié à leur activité de secours.
Pour le capitaine Sébastien Rossi, chef d'opération du CTA-Codis 67, tout dépend de la solidité du pompier, de son état et du type d'accident sur lequel il intervient.
« Une situation de perte de contrôle du véhicule »
close« Je suis intervenu en tant que médecin d'astreinte du Smur de Strasbourg. J'ai quitté mon domicile pour retrouver le Smur de Sélestat, également appelé sur les lieux. Nous sommes intervenus sur une sortie de route en direction de Wangenbourg. »
« Son pronostic vital était engagé »
« L'équipe de Sélestat s'est occupée du blessé le plus grave et je me suis occupé des deux autres personnes. Le passager avant se trouvait dans un état particulièrement grave avec un pronostic vital engagé. Mes collègues du Smur de Sélestat ont interrompu la réanimation médicalisée après 10 minutes de soins à peu près [le patient est décédé]. Les deux autres personnes sont moins sévèrement touchées, avec uniquement des lésions bénignes. »
Prendre la température sur les lieux
closeLorsqu'un accident se produit, le Centre de traitement des appels du SDIS du Bas-Rhin prévient la gendarmerie départementale de Strasbourg, qui envoie une équipe sur les lieux. A leur arrivée sur la départementale 218, les deux gendarmes de Saâles ont contrôlé si la voiture était en état de circuler, ont pris des photos et ont marqué à la bombe de peinture la position du véhicule, utile en cas de reconstitution de l'accident. Les militaires ont dû ensuite identifier les personnes impliquées dans l'accident : le conducteur, les passagers et les témoins éventuels. Ils ont contrôlé également l'alcoolémie du conducteur du véhicule, sur place ou à son arrivée à l'hôpital à l'aide d'une prise de sang.
Suivi psychologique entre camarades
Si les gendarmes peuvent demander à rencontrer un psychologue en cas de traumatisme à la suite d'une intervention, rares sont ceux qui le font. Le suivi psychologique se fait, à les entendre, plutôt entre camarades, et certains, à force d'expérience, gardent une distance froide avec les événements qui pourraient les traumatiser. Quand ils vont sur un accident, ils ont, disent-ils, « leur job à assurer ».
Alexandre Biacchi, dépanneur remorqueur à Saâles
“ Le risque de la route, on le voit tous les jours
témoignage...« Notre boulot c'est d'enlever le véhicule pour dégager la route »
closeAppelés à 0h45, Alexandre Biacchi et un autre employé de la société de dépannage sont arrivés sur les lieux vers 1h15. « On a eu un appel de la gendarmerie pour nous signaler un accident. Le véhicule était encastré dans un arbre, on s'est mis avec la dépanneuse, on l'a treuillé et on l'a sorti du talus d'où le véhicule était coincé. » Les deux dépanneurs rentrent au dépôt à 3h40.
« Pas le choix »
« Quand on est appelés, on sait qu'on a un accident mais on ne sait pas de quoi il s'agit. On le gère parce qu'on n'a pas le choix. Parce que c'est notre métier et puis nous, on travaille sur la carrosserie, sur la voiture, alors que les pompiers, c'est un autre boulot. Eux, ils travaillent avec les victimes. On ne va pas dire qu'on s'y habitue mais presque quoi…. »
Nicolas Diebold et Denis Eichhorn, agents du Conseil général du Bas-Rhin, à Molsheim
“ En général, on part les derniers
témoignage...« Sécuriser les lieux pour éviter le sur-accident »
close« La gendarmerie a contacté le PC route à Strasbourg, qui a ensuite appelé notre responsable d'astreinte, lequel nous a prévenu. On a été appelés à 1h10 du matin et on est partis de chez nous dans la foulée », explique Denis Eichhorn.
« On est arrivés là-haut vers deux heures. La première fonction, c'est de sécuriser les lieux pour éviter un sur-accident. On a bloqué une voie et laissé l'autre libre en faisant bien attention à ce que la circulation se passe correctement, mais à cet endroit il n'y en a pas trop, donc ça allait très bien. On a laissé les panneaux sur place parce que la voiture a percuté un poteau électrique et que le câble est trop bas. C'est pour prévenir les usagers, les grumiers et les camions afin d'éviter qu'ils arrachent le câble. Les panneaux resteront sur place jusqu'à ce que l'Electricité de Strasbourg intervienne et que tout soit de nouveau aux normes. »
Un technicien de l'Electricité de Strasbourg était également présent sur les lieux de l'accident, la voiture ayant détruit le poteau d'une ligne privée de l'Office national des forêts destinée à alimenter la maison forestière située quelques centaines de mètres plus loin.
Jean-Claude Charpentier, agent technique de l'ONF à la maison forestière du Nideck
“ Ils peuvent toujours avoir besoin d'un coup de main
témoignage...« J'ai vu qu'il y avait du mouvement alors j'y suis allé »
close« Je suis sorti parce que j'ai entendu du bruit, puis je me suis inquiété. J'ai attendu un moment avant d'y aller, j'ai vu qu'il y avait pas mal de mouvement, les gyrophares, alors je me suis déplacé, ils peuvent toujours avoir besoin d'un coup de main. »
« Je dormais mais j'ai été réveillé. Il devait être 1h et demi je crois. Je me suis levé, je me suis habillé et j'y suis allé en voiture. Il y avait le chef des pompiers qui m'a dit qu'il y avait eu un accident et... un décès. Les blessés étaient déjà partis. Je ne suis pas resté longtemps, je n'aime pas beaucoup ça. »
« Les curieux, ça existe partout »
« Je connaissais la personne décédée. Quand j'y suis allé, je ne savais pas qui c'était, c'est quand j'ai vu sa voiture. Mais là ce n'est pas lui qui conduisait. Ça fait drôle, c'est vrai. Il passait sur cette route 2, 3 fois par jour, régulièrement, mais il ne roulait pas vite.»
« Toute la semaine il y eu a beaucoup de monde qui s'arrêtait. Les curieux, ça existe partout. Je connais des gens du village qui n'avaient rien à faire là, qui ne sont pas de la famille mais je sais pas c'est morbide, je suis désolé c'est morbide. Si je peux éviter ça, moi j'évite. Je ne vois pas ce que j'ai à faire sur les lieux de l'accident quand il y a eu un décédé. »
Patrice Bande, gérant des pompes-funèbres à Barembach
“ C'est comme les maillons d'une chaîne
témoignage...« On est sous l'autorité des gendarmes et du procureur »
close« On est appelé en général par la gendarmerie sur réquisition judiciaire, donc on a été appelés il était 2h15 du matin. Sur les lieux, on a toujours un peu d'attente, on ne sait jamais si les constatations sont terminées. On est sous l'autorité des gendarmes présents sur place. On est les seuls ici, dans la haute vallée de la Bruche, à être accrédités par le tribunal de Colmar pour tout ce qui est transport judiciaire. Cela nous oblige à être de permanence 24h sur 24 tous les jours de l'année, parce que ça peut se produire à n'importe quel moment. »
« Cette nuit là, vers trois heures et quart, on a été autorisés à prendre le corps en charge et le ramener ici, à Barembach. Le lendemain matin, on a eu des nouvelles du procureur, toujours par l'intermédiaire des gendarmes, qui nous a demandé d'amener le corps à l'Institut médico-légal de Strasbourg pour ce qu'on appelle une levée de corps. C'est un examen, on va dire superficiel, pas une autopsie. »
« On fait partie d'une chaîne et il faut faire notre travail »
Contrairement à d'autres professions, les employés des pompes-funèbres ne bénéficient pas d'un suivi psychologique. Ils en parlent entre-eux, pour évacuer. Tout en étant parfaitement conscients du rôle central qu'ils ont à jouer dans la prise en charge des victimes d'accidents.