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Avec son survêtement rouge vif et sa veste dorée, Kadem Otmani éclipse totalement les deux autres prévenus présents dans le box. À quelques minutes de sa comparution immédiate pour trafic de stupéfiants, l’homme de 25 ans discute facétieusement avec les policiers qui l’escortent au Tribunal de grande instance de Strasbourg. Sa bonne humeur sera de courte durée : il se murmure qu’un magistrat, malade à la dernière minute, ne pourra tenir son rang. On dépêche une remplaçante dans l’urgence. Agacé, Kadem Otmani fend l’assemblée d’un regard sévère.
Quarante-cinq minutes plus tard, une assesseur débarque et s’installe prestement. La salle est remplie d’étudiants avocats venus assister aux débats. La grève de leurs confrères représente une aubaine pour Kadem Otmani. Le président n’a pas même le temps de lui demander s’il souhaite assurer sa propre défense que ce dernier lui a déjà donné son accord : « Vous connaissez les raisons de ma présence, je veux faire ça vite », décoche-t-il.
L’affaire Otmani sera jugée en dernier. De retour dans le box, il s'assoit et croise les bras, faisant fi des injonctions de se lever que lui lance un président décontenancé. Le prévenu finit même par s’emporter : « Je n’aime pas parler, c’est pas une pièce de théâtre. Je veux aller en prison le plus rapidement possible. » Les visiteurs sont partagés entre le rire et l’étonnement.
Il se livre avec plus de 100 grammes de drogue
Le déroulé des faits pousse la circonspection à son paroxysme : le 3 février 2019, alors qu’il vient de passer deux jours et une nuit blanche dans les rues strasbourgeoises, le Messin se rend dans un commissariat en possession de 47 grammes de cocaïne et 82 grammes d’héroïne. Son objectif ne souffre d’aucune ambiguïté : il veut être incarcéré. « J’avais besoin d’un choc. Je veux changer de vie et repartir à zéro. » Les circonstances qui l’ont poussé à agir demeurent obscures. Était-ce par peur de représailles ? Kadem évoquera seulement qu’il ne voulait pas retourner à Metz, lieu enclin à de « mauvais souvenirs ».
Aujourd’hui, sa seule préoccupation est de pouvoir se doucher, rejoindre sa cellule et « fumer une clope ». Son attitude provocante divertit quelque peu l’assemblée. La mère d’un autre prévenu échange des sourires sincères avec un policier. Multirécidiviste, son fils a été condamné quatre fois pour conduite sous emprise de stupéfiants en 2018 : elle est habituée des tribunaux. Des affaires, elle en a vu, « mais jamais des aussi incroyables », glisse-t-elle à sa fille pendant que les juges délibèrent.
13 mois ferme et un sourire
Une stupéfaction que partage le procureur de la République. Si affable et volubile lors de ses précédents plaidoyers, il semble désoeuvré. À quoi bon accabler un prévenu qui n’attend que ça. Le représentant du parquet se contentera de rappeler sans grande conviction que le jeune homme est un pur trafiquant, « un revendeur au comportement véhément et au casier judiciaire garni de sept condamnations pénales ». Des infractions en lien avec le trafic de drogue ? Nous n’en saurons pas plus.
Le verdict tombe, 13 mois ferme. Kadem Otmani se tourne vers deux amis présents dans le public et serine dans un large sourire : « C’est mieux pour moi. C’est vraiment mieux pour moi. »
Mickaël Duché
Le spectacle fascine plus par le savoir-faire qu’il met en scène que par l’histoire qu’il raconte. Les décors délicats relèvent presque de l’artisanat. C’est la beauté des marionnettes qui ramènent de la poésie à la pièce face à la dureté du thème abordé. On voit des figures de CRS, bouclier au poing, qui par la suite, roueront un homme de coup, des miradors entourés de barbelés, des rêves torturés. La violence, même si elle n’est pas graphique, est une partie intégrale de la pièce.
Le thème reste rude pour des enfants, même adoucis par la gaieté des numéros de cirque. Et puis l’absence de dialogue peut perdre les plus jeunes. Les moins de huit ans risquent de ne pas comprendre le spectacle sans les explications de leurs parents. Ce qui risque d’agacer le reste des spectateurs.
Judith Barbe
Infos pratiques : TJP, Grande Scène, 7 rue des Balayeurs à Strasbourg. 10 h et 14 h 15. 19 € tarif plein, 15 € tarif réduit.
Le théâtre TJP présente Natchav, une pièce de théâtre d’ombre où s’opposent chatoiement de la liberté et obscurité des entraves. Dernières représentations le 6 février pour les plus de huit ans.
Sur scène, quatre silhouettes poussent des chariots, rapidement, dans l’ombre encore installée dans la salle. Deux musiciens sont éclairés sur le côté de la scène, entourés d’un fouillis d’instruments, du tuba aux chaînes de métal. La mélodie commence. À l’écran, un camion roule sur une route de campagne.
Ce n’est pas un film, mais du théâtre d’ombre. Une vingtaine de maquettes roulent sur les planches, tirées par les acteurs/techniciens/bruiteurs qui alternent suivant les scènes. Des décors en métal, en bois, en papier ou en tissu, en noir et blanc, et en relief. Dessus est projetée la lumière d’une lampe. L’un des comédiens filme les saynètes. Apparaissent alors des ombres sur un écran installé en fond de scène. Comme un conte muet qui prendrait vie.
La compagnie Ombres portées a créé et joue Natchav, un spectacle d’une heure, accessible à partir de 8 ans. Ils donnent leurs dernières représentations strasbourgeoises au TJP, anciennement Théâtre Jeune Public, le 6 février à 16 h 15.
Des paillettes aux barreaux
Le spectacle met en scène le cirque fictionnel Natchav. Il arrive en ville, à coup de trompette, rameutant les forces de l’ordre, agacées de la présence des artistes. Repoussés aux faubourgs de la ville, les circassiens réinvestissent la ville. S’en suit une confrontation avec les CRS, ponctuées de coup de sifflets.
L’un des artistes, portant un masque d’oiseau qu’il se fait retirer par les policiers, se retrouve en prison. L’univers carcéral donne lieu aux décors les plus impressionnants. Pas tant par leur taille, mais leur ingéniosité. Les couloirs du pénitencier, les cellules des détenus, l’imposante façade prennent vie grâce à leur niveau de détail. L’ambiance musicale se fait plus sombre, la musicienne pose sa clarinette pour faire grincer une plaque de métal dressée à côté d’elle. Les images se superposent par des fondus. De la lumière blanche, impersonnelle et crue éclaire les barreaux de papiers ; de la lumière plus jaune, chaude illumine la représentation de cirque qui a lieu au même moment.
Sont opposées liberté et détention, beauté de l’art et laideur de l’enfermement. Les comédiens qui manipulaient les maquettes sur la scène s’improvisent acrobates dans des tenues pailletées. Une danseuse, présente sur scène grâce à une actrice et dans les petits décors sous la forme d’une acrobate en bois, tente un numéro d’équilibriste. Les spectateurs retiennent leur souffle. Succès, la foule applaudit. Ce sera l’une des seules interactions des acteurs avec le public. Dommage lorsqu’on se produit pour des enfants.
Histoire d’artisanat
La soirée est réussie pour les marionnettes de Natchav, malgré l’incarcération de l’un des leurs. Ils iront rapidement le libérer, grâce à leurs échelles d’acrobate et à leurs camions de cirque avant de repartir à tambour battant et trompette claironnante pour de nouveaux horizons. Tout finit bien. La morale du conte sonne comme une victoire de la générosité de l’art face l’inhumanité de l’emprisonnement. Que vive la liberté.