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Inaugurées cette année pour reloger les résidents avant le début du chantier, ces nouvelles constructions portent la capacité d’accueil à 271 studios, tous meublés. Des espaces de vie beaucoup plus fonctionnels de 15 à 25 mètres carrés incluant un espace cuisine, une salle de bain et des toilettes personnelles. Coût estimé de l’opération : près de 11 millions d’euros.
Un foyer plutôt calme
D’origine marocaine, Rachid, 64 ans, a connu les deux. Cet ancien chauffeur de taxi et footballeur est arrivé en France il y a 38 ans. "C’était mon rêve. Plus jeune, je voyais les gens en revenir avec les Peugeot 404, les pantalons pattes d’eph’ et les cheveux longs. Je me suis dit "c’est le paradis", se souvient-il. A l’époque, il n’y avait pas besoin de visa, Mitterrand donnait des papiers à tout le monde." Le rêve est d’abord devenu réalité pour Rachid qui a fondé une famille et s’est installé à Strasbourg. Mais tout s’est effondré en 2014. Suite à son divorce, Rachid quitte son HLM, se retrouve sans domicile et dort dans un local à vélos. Son seul recours : le foyer.
Le foyer pour travailleurs migrants, créé en 1970 a connu de nombreuses réfections. Après la construction de 2 bâtiments neufs inaugurés cet été, l’établissement achèvera sa transformation en résidence sociale d’ici fin 2019.
Les bennes se remplissent de gravats. Les ouvriers s’affairent et les consignes fusent. Le foyer pour travailleurs migrants géré par Adoma, rue des Petites-Fermes, poursuit sa mue en résidence sociale. Les travaux qui comprennent un désamiantage doivent s’achever au troisième trimestre de l’année 2019. Les anciens bâtiments, en cours de rénovation, comportaient des chambres d’une dizaine de mètres carrés avec douches et cuisines communes. "Une cellule", se souvient un habitant, qui souligne le confort des nouvelles habitations.
L’affaire Québecor comporte encore des zones d’ombre. Notamment sur le jeu des influences politiques. Pourquoi Frank Immobilier a-t-il acheté une friche industrielle inconstructible ? Comment, en deux ans, le site a-t-il pu devenir officiellement habitable, avant même la dépollution ? Aujourd’hui, le promoteur ne communique plus sur l’affaire passée au Conseil d’Etat. "Je pense qu’il y a eu, dans ce dossier, ce qu’on peut qualifier de petits arrangements entre amis", lâche Eric Elkouby.
Caroline Celle et Claudia Lacave
Isabelle se souvient : “C’était un endroit intéressant car tout était possible, pas besoin de répondre à une exigence. Ce genre d’endroit te donne du temps et de l’espace, c’est fondamental. Et quand tu as une idée, ça devient possible.” Jusqu’à réparer son bateau ou souder six vélos ensemble, juste pour voir ce que ça donne.
*Le prénom a été modifié.
Julie Gasco et Maxime Glorieux
Suite au déménagement forcé, des vols ont été constatés alors que la maison était surveillée par des vigiles municipaux. Des outils ont disparu. Ils appartenaient à Papier Gâchette, l’imprimerie associative créée en 2009 dans le squat. Le hangar accueillait 100 m2 d’imposantes machines, pour certaines centenaires. “On faisait de la micro-édition, sérigraphie, reliure, gravure, typographie en utilisant des méthodes d’impression anciennes”, explique Manouche, qui a rejoint l’atelier sur la fin.
Le degré de pollution actuel reste opaque. Le cadastre note, cette année encore, une "persistance des concentrations, notamment en toluène", l’un des polluants les plus dangereux du site. Dès 2008, un arrêté préfectoral exigeait des analyses trimestrielles des hydrocarbures dissous (toluène, benzène…) et des analyses semestrielles des métaux (arsenic, nickel…). Depuis, plusieurs arrêtés préfectoraux ont réitéré ces demandes. Celui daté du 3 novembre 2015, portant le permis de construire, interdit l’accueil "des populations sensibles (écoles, crèches)", "la culture de végétaux de consommation" et "l’infiltration des eaux pluviales". Il prohibe, de plus, toute utilisation de l’eau de la nappe phréatique de Québecor, alors que le terrain est une zone à forts risques d’inondation par remontée des eaux souterraines.
"Si ça continue, je devrai partir"
S’il s’affirme en "sécurité", Ehmade se sent seul. Il ne peut pas dialoguer avec les Français, ne connaît personne à part un compatriote arrivé depuis peu au foyer, n’a ni amis ni proches. Sa famille, il l’a laissée derrière lui : sa femme et ses sept enfants vivent toujours en Afrique. Ehmade veut désormais quitter la région, pour aller "n’importe où ailleurs en France". S’il trouve le quartier fonctionnel, il dénonce le manque d’accompagnement, notamment dans sa recherche d’emploi. Il tente d’apprendre le français en regardant la télévision et retourne régulièrement à Pôle emploi, sans jamais obtenir de réponse positive. "Attends, attends, that’s all they say ! [C’est tout ce qu’ils disent, NDLR]"
Pour Movsar, cette impuissance à trouver un emploi est le principal frein. A Paris, il était dans la construction. Mais ici, le blocage persiste : il ne se voit proposer que quelques missions d’intérim ponctuelles. "C’est difficile d’obtenir un travail, je ne sais pas pourquoi. Si ça continue, je devrai partir." Le petit espace où il loge se borne à un lit une place, une table, un frigo, un lavabo et quelques espaces de rangement sommaires.
Surtout, l’endroit, à la limite de l’insalubrité, est infesté de cafards. Alors qu’il allume un briquet, une dizaine d’insectes surgit des plinthes. Malgré les produits dont il use et abuse. "Rien n’y fait, il y en a partout, se lamente-t-il. La nuit, ils s’insinuent dans ma bouche, dans mes oreilles." Quant aux opérations de désinsectisation, il n’y en a pas eu depuis plus d’un an, selon son voisin Jean-Marie. Mais le quinquagénaire ne se plaint pas auprès d’Adoma. "C’est fini, j’ai baissé les bras", souffle-t-il. Une résignation que partagent les trois locataires, paralysés par la hantise de retrouver le pire. "C’est ainsi", se résout Movsar en écrasant un énième nuisible avec son talon.