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Après la déclaration de guerre de 1939, Strasbourg est déclarée zone militaire par l'Etat français. Une grande partie de la population doit évacuer la ville. Après l'armistice du 22 juin 1940, l'Alsace est annexée au Reich. Les jeunes Alsaciens qui ne sont pas partis en 1939 sont appelés à rejoindre l'armée allemande. Jean Salomon a 20 ans en 1942. Après ses années de lycée, effectuées à Obernai avec des professeurs allemands, il reçoit un ordre d'incorporation pour le « Reicharbeitdienst ». Il s'agit d'un service de travail pour les jeunes Allemands qui précède le service militaire. Il prend alors la décision de fuir son Alsace natale et de quitter sa famille.

" Tu dois t'en aller "

Jean Salomon, 20 ans en 1942.

Né en 1922, Armand Utz, lui, n'a pas échappé au service du travail. Il passe six mois au service du Reich. Il décide ensuite de s’enfuir pour ne pas être incorporé dans l'armée allemande. Il quitte Obernai le samedi 16 mai 1942, en compagnie d'un camarade de classe. Pour rejoindre l'université de Clermont-Ferrand, il doit passer en zone libre par la Suisse, Dijon et Grenoble. Armand Utz retrouvera Jean Salomon en Auvergne.

Du costume nazi à celui d'étudiant libre. Armand Utz, à droite,en costume allemand du Reicharbeitdienst. Plus tard, à gauche, en compagnie de Jean Salomon à Clermont-Ferrand. Crédit photos : Armand Utz

Près de soixante ans plus tard, Armand Utz se souvient de son trajet de l'Alsace à l'Auvergne.
« Au mois de mars 1942, j'ai été libéré après six mois, comme les autres camarades alsaciens français. Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ? J'avais déjà envie de m'évader. Mais il fallait trouver un passeur. Ce n'était pas si facile. Ça ne se trouvait pas dans les journaux. (…) Il a donné l'ordre que je sois le 16 mai à Kirchberg à 5 heures. Je le trouverais à la ferme forestière. C'était un samedi. (...) 
En montant à la ferme, voilà que deux gendarmes de frontière allemands nous arrêtent. « Qu'est-ce que vous faites ici ? ». Alors là on est perdus.(...) « Heil Hitler ! ». « Heil Hitler ! ». On voulait montrer qu'on était des nazis convaincus. Encore maintenant je ne comprends pas. On avait des sacs, de l'argent français, s'ils nous avaient fouillés, on aurait été pris. Ils nous croyaient de bons nazis. J'ai présenté ma fiche de démobilisation du RAD, du Reicharbeitdienst. Je leur ai dit qu'avant d'aller à l'université allemande, on voulait faire un tour dans les Vosges. Cinq minutes après on était chez le garde forestier. (...) 
Après avoir été incorporé aux chantiers de jeunesse à Pont d'Ain, j'ai rejoint en mai 1943 l'université de Strasbourg à Clermont-Ferrand. C'était la seule université qui recueillait les Alsaciens. Là-bas on avait la carte d'étudiants et l'allocation de réfugiés. On était forcé d'y aller pour l'argent. Je suis arrivé là-bas très malade. (…) Je me suis inscrit à la faculté des lettres, et tous les mois je touchais mon allocation. Et là j'ai rencontré tous les Alsaciens qui étaient réfugiés là-bas depuis 39. »

Armand Utz, novembre 2011

L'insouciance en danger

Après un trajet souvent long et périlleux, les étudiants alsaciens reçoivent un accueil bienveillant à Clermont-Ferrand. Ils sont logés dans des familles, en foyer, ou dans de modestes appartements.
Rapidement, une communauté soudée se construit. A Clermont, ils perçoivent une aide financière spéciale de la part du régime de Vichy. Ils se retrouvent pour partager leurs repas. Ils passent leur temps libre entre le cinéma, les balades en ville et les promenades en Auvergne.

Yvonne Henry-Lobstein (deuxième en partant de la gauche), étudiante en médecine, partie se promener sur le plateau de Gergovie, au dessus de Clermont-Ferrand.
Crédit photo: Famille Lobstein

A Clermont, les étudiants essayent tant bien que mal de conserver leur insouciance. Si sa première impression de la ville n'a pas été excellente, Madeleine Wurm a été instantanément séduite par les montagnes du Puy de Dôme. Elle est élève à Jeanne d'Arc, le lycée de filles. Pierre Feuerstein, lui, fréquente le lycée Blaise Pascal. Il a 15 ans quand il quitte Strasbourg, en 1939, avec son père, trésorier de l'Université de Strasbourg.

Pierre Feuerstein et Madeleine Wurm, deux lycéens en temps de guerre.

Un quotidien difficile

Si les moments partagés apportent un certain réconfort aux exilés, le quotidien se fait de plus en plus difficile. Jean Salomon est étudiant en pharmacie. Lorsqu'il quitte l'Alsace, sa musette contient une chemise, une paire de bas, deux mouchoirs, un maillot de corps, un pull, un manteau, un rasoir et une serviette. « Il a fallu vivre avec pendant deux ans. »

Jean Salomon, à gauche, à Clermont avec ses amis alsaciens

« Peu à peu, avec l'occupation et les réquisitions allemandes, surtout au niveau de la nourriture, nous nous sommes retrouvés dans une situation extrêmement difficile. La vie quotidienne pendant ces années-là, jusqu'à la Libération de Clermont, a été extrêmement dure. On mangeait quand même bien sûr, on mangeait des salsifis, des rutabagas, et autres légumes qu'on trouvait dans le coin. On mangeait du pain noir. On n'avait presque pas de beurre, pas de confiture, pas de chocolat. On vivotait. Pendant le week-end, je partais à la campagne échanger les tickets de rationnement de tabac de mon père contre des œufs, du beurre ou du fromage. » 

Pierre Feuerstein, novembre 2011.

La campagne a été un refuge pour les jeunes étudiants. Non seulement ils pouvaient s'y replier en cas de danger, mais il s'agissait aussi d'un véritable garde-manger. Nombreux étaient ceux qui réalisaient des expéditions dans les fermes afin de se ravitailler en œufs, en fromage ou en légumes.

Madeleine Wurm et sa soeur Mariette lors d’une sortie dans le Puy de Dôme en août 1940.

La légèreté de leurs jeunes années est entachée de peurs, de plus en plus souvent. À Strasbourg, l'Allemagne ouvre la Reichuniversität en novembre 1941. La pression sur l'Université de Strasbourg repliée en Auvergne se fait plus forte. En 1942, la France est occupée et Clermont tombe aux mains des Allemands. Venue de la Creuse, celle qui s'appelle encore Yvonne Henry se rapproche des Strasbourgeois. La future épouse de l'Alsacien André Lobstein se souvient d'une bande de jeunes très soudés. « On récitait des poèmes, on chantait ''Vous avez eu l'Alsace et la Lorraine, mais notre cœur vous ne l'aurez jamais''. »

Yvonne Lobstein, étudiante en médecine.

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