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En France, le sport reste aujourd’hui une pratique plutôt masculine : les hommes représentent 61% des licenciés toutes disciplines confondues. Ils sont environ 9,5 millions d’inscrits dans des clubs sportifs pour « seulement » six millions de femmes. Une tendance qui concerne toutes les tranches d’âges sans exception.

On constate que certaines disciplines sont largement dominées par un sexe ou l’autre. Pour exemple, 94% des licenciés en foot sont des hommes, tandis que les femmes s’accaparent 82% des licences en équitation.

Entre 5 et 12 ans, on observe une forte augmentation du nombre de licenciées filles (1,6 millions) et garçons (2,3 millions). Aux alentours de 13 ans, ce chiffre décroît. C’est à cette période que les jeunes femmes se détournent des activités sportives, jugées moins « féminines ». Le nombre de licenciées est divisé par quatre et passe d’environ 1,6 million à 410 000 personnes tandis que chez les hommes, le nombre de licenciés est divisé par deux pour tomber à 1 million. A partir de 25 ans, la courbe se stabilise chez les femmes et reste au même niveau jusqu’à 70 ans. Chez les hommes, il y a encore un pic à 35 ans avant de baisser fortement. Pour les deux sexes, il semblerait qu'à partir de 20 ans, la pratique sportive soit affectée par l'entrée dans la vie professionnelle et la formation d'un foyer.

Le foot pour les hommes, l’équitation pour les femmes

Les sports les plus « mixtes » ou les moins clivants sont les disciplines qui échappent à cette logique de stéréotypes : le tennis, le judo, et surtout la natation. Dans ces sports, les taux de licenciés masculins et féminins s’équilibrent, même si les hommes restent globalement plus nombreux (hors natation).

Ainsi, parmi les licenciés de tennis, 30% sont des femmes. En judo, elles représentent 33% des pratiquants, et en natation, elles sont majoritaires avec 55,3% de nageuses dans les clubs français.

A l’inverse, le football est stéréotypé masculin avec 94,4% des licenciés qui sont des hommes, tandis que l’équitation reste un sport dit « féminin » avec seulement 16,2% de cavaliers hommes.

Professeure émérite de sociologie à l’université Paris Descartes, Catherine Louveau s’intéresse depuis plusieurs années à la question du genre dans le sport. « Les disciplines qui sont toujours très masculinisés sont les sports d’affrontement, de métaphore de guerre, de grands terrains et d’extérieur », explique-t-elle. Ces chiffres sont révélateurs de pratiques sportives genrées.

« Ce sont des sports par lesquels les femmes ne sont pas attirées et dans lesquels les hommes n’ont pas envie qu’elles exercent. Historiquement, il y avait des règlements qui interdisaient aux femmes de faire du foot, du rugby ou de la boxe. » Maintenant que ces interdictions sont levées, les raisons de ce déséquilibre se situent à un niveau « culturel et historique », selon elle.

Dans les faits, le football reste champion chez les hommes, avec environ deux millions de licenciés sur le total des 9,5 millions licenciés masculins. Le tennis et le judo arrivent loin derrière avec  718 000 et 360 000 licenciés respectivement.

« Dans les sports « masculins » on se salit, on se porte des coups, et beaucoup de femmes et de filles ne trouvent pas ça féminin », analyse celle qui est aussi présidente d’un institut de diffusion des recherches sur les femmes, le sexe et le genre.

De ce fait, chez les femmes, l’équitation rassemble 550 000 licenciées sur près de 6 millions, toutes disciplines confondues. Suivent le tennis avec près de 310 000 inscrites et la gymnastique avec environ 240 000 licenciées. Catherine Louveau note que « dans notre culture, les attributs considérés comme très « féminins » correspondent aux activités esthétiques, gracieuses, dans lesquelles il faut être mignonne et souriante. »

Le twirling bâton, sport le plus féminisé en France en terme de licenciées où la grâce et l'esthétique sont des qualités recherchées, en est un parfait exemple : il allie gymnastique et jonglage avec un bâton. La Fédération française sportive de twirling bâton (FFSTB) rassemble essentiellement des jeunes filles, mais peu de femmes. Parmi les 13 000 licenciés en 2014, on comptait seulement 1 000 licenciés masculins. Mais le nombre de pratiquants actifs est bien plus bas, avec environ 150 garçons, car « l’essentiel des hommes licenciés travaillent dans l’administration ou sont entraîneurs », explique Gérard Kuster, président du Ligue Grand Est de twirling bâton. Même si le sport a connu une équipe de compétition masculine, événement extrêmement rare dans le monde du twirling, cela « n’a pas porté ses fruits » en terme de nouvelles inscriptions d’adhérents masculins, regrette M. Kuster.

« Je n’ai jamais été considérée comme une femme »

Dans l’autre moitié de terrain, Mélissa Plaza, ex-footballeuse professionnelle, aujourd’hui docteure en psychologie sociale, a vécu l’expérience d’un sport typiquement masculin, le football, en tant que femme : « Ma grand mère était atterrée parce que pendant les vacances je jouais au foot toute la journée, elle ne trouvait pas ça féminin. Lorsque je suis devenue professionnelle, elle ne comprenait toujours pas pourquoi je pratiquais ce sport, et à chaque fois qu’on s’appelait, elle me demandait quand j’allais arrêter ».

Souvent qualifiée par ses pairs de « révoltée, d’atypique », cette ancienne internationale a écrit sa thèse sur les stéréotypes de genres. La suite logique d’une carrière marquée par la prégnance de l'empreinte masculine sur son sport: « Je n’ai jamais été considérée comme une femme », affirme-t-elle sans détour. Incitée par ses parents à faire du patinage artistique en club dès ses 5 ans, elle n’a tenu qu’une séance. « C’était catastrophique », se souvient-elle aujourd’hui. Pour le football, elle a dû attendre trois ans de plus. Et avoir la chance de trouver une section féminine aux portes de son village. La suite : une carrière professionnelle accomplie, qui n’a pas fondamentalement changé la perception des autres.

Selon elle, les médias sont en première ligne. « Les journalistes me posaient souvent la question « Ça vous vient d’où cette passion ? » C’est comme si c’était incongru. » L’explication à cela est toute trouvée, pour Catherine Louveau : « De toute façon on voit peu de sportives de haut niveau dans les médias, et quand on en voit, elles font du patinage artistique, de l’athlétisme ou des sports olympiques. On observe rarement des joueuses de rugby ou de football, alors comment veut-on que des filles pratiquent ces sports alors qu’elles n’ont pas de modèles dans les médias ? Comment pourraient-elles en avoir envie ? ». Comme le soulignent les chiffres du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le sport féminin représentait moins de 20% du volume horaire des retransmissions sportives télévisées en 2016.

Dès l'enfance, des disparités hommes/femmes

L’analyse des données relatives à la pratique sportive chez les filles de moins de 19 ans montre que les trois disciplines les plus populaires sont l’équitation, la gymnastique et le handball.

D’après Catherine Louveau,  « cette tendance trouve ses origines dans les expériences et les apprentissages de la petite enfance. Par exemple, on retrouve peu de motricité dans les jouets des filles. Ce sont des jouets d’activités d’intérieur pour être une bonne mère ou une bonne épouse. Au contraire, les jouets des garçons incitent à construire le monde, l’explorer, faire la guerre, ils promeuvent les activités techniques. Cela développe un certain rapport à l’espace dans lequel les filles sont retenues à la maison. »

On constate également une chute considérable du nombre de licenciées dans ces trois disciplines à partir de la tranche d’âge 15-19 ans.

Catherine Louveau avance deux raisons. Les filles abandonnent « car ces activités sont très exigeantes (régimes, rigueur, entrainements…) ». Par ailleurs, « l’adolescence marque l'achèvement de la féminité, avec toutes les transformations liées à la puberté : les enjeux sont importants à cet âge là car c’est le début de la séduction, des relations sexuelles et de la formation des couples. Beaucoup de filles pensent que ce n’est pas féminin ou ont peur de ne pas être perçues comme féminines si elles font du sport. »

C’est ce qu’a vécu Mélissa Plaza au cours de sa jeunesse : « Dans mon entourage, mes parents, mes amis, mes profs, on me disait très souvent que j'étais un vrai « garçon manqué ». Je le prenais bien, je trouvais ça « cool » d'être un garçon manqué. Pour moi c’était « je suis pas tout a fait un garçon, mais c’est quand même mieux que d'être une fille. » »

Jusqu’à ce qu’elle se rende compte du sens réel de cette expression, « c’est comme si je ne faisais pas ce qu’on attendait de moi en tant que fille. » Et d’ajouter : « En tant que femme, en pratiquant un sport on va contre la norme, alors soit on ne pratique pas d’activité physique, soit on pratique un sport mais en conformité avec les codes. »

Augustin Campos, Boris Granger, Pierre Griner, Louay Kerdouss, Melina Lang, Stefanie Ludwig, Clémentine Rigot

Crédit photo : Thomas Bresson

Méthodologie :

Les données utilisées dans cet article proviennent d'une étude de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) réalisée sur l'année 2014. Pour des raisons pratiques, nous avons décidé de ne conserver que les chiffres relatifs à la France métropolitaine. Après avoir considéré l'ensemble des licenciés tous sports confondus, nous avons discrétisé les hommes et les femmes, que nous avons ensuite classés par discipline, puis par catégories d'âge. Si le basket se place en quatrième position des sports les plus pratiqués par les femmes, tous âges confondus, le handball compte plus d’adhérentes parmi les filles de 1 à 19 ans. C’est pourquoi nous avons choisi de faire figurer le handball sur le troisième graphique plutôt que le basket. Pour les troisième et quatrième graphiques, il nous est apparu pertinent de faire une distinction entre les disciplines « clivantes », dont les licenciés sont majoritairement des femmes ou majoritairement des hommes, et les disciplines « non-clivantes », réunissant un grand nombre de sportifs des deux sexes. Par ailleurs, nous avons choisi de faire figurer le rugby sur notre graphique comparatif des disciplines car il met en évidence le contraste significatif des sports majoritairement pratiqués par les hommes par rapports aux sports davantage pratiqués par les femmes.

 

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