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Foot, boxe et judo pour les jeunes, golf, randonnée et pétanque pour les plus âgés. Comment l’âge influence-t-il le choix d’un sport plutôt qu’un autre ? La vie de Gabriel, personnage fictif, illustre l’évolution de la pratique du sport au fil des années et met en perspective la variation des licenciés dans chaque sport tout au long de la vie.

C’est à Strasbourg, ville française représentative de la situation nationale en termes de pratique sportive, que Gabriel voit le jour, un soir d’été. Né d’un père ancien footballeur et d’une mère trésorière d’un club d’athlétisme, le jeune Gabriel découvre rapidement les joies de la pratique sportive au sein d’un club.

0 à 15 ans, la découverte des sports

Gabriel a 4 ans. En attendant l’âge requis pour l’inscrire au football, ses parents décident de l’envoyer au judo. 69% des licenciés de judo ont moins de 15 ans. Sa mère, qui aurait voulu réussir dans ce sport, rêve que son fils devienne un champion sur le tatami. « La frustration des parents joue un rôle dans la pratique précoce d’un sport, explique Gilles Vieille-Marchiset, sociologue et directeur de l'équipe de recherche « Sport et sciences sociales » à l'Université de Strasbourg. Cette pratique est aussi un moyen, pour les parents issus des classes moyennes, de socialiser leur enfant à tout prix, pour rompre l’isolement et créer des amitiés sportives. »

À 7 ans, Gabriel obtient enfin sa première licence de football. Il ne se déplace jamais sans son ballon. Les bonnes performances du Racing Club de Strasbourg, son équipe préférée, n’ont fait que renforcer sa passion.  « C’est pareil dans tous les sports, commente Gilles Vieille-Marchiset. À chaque évènement sportif, six mois plus tard, il y a une croissance du nombre de licenciés, notamment dans les sports collectifs, où les compétitions sont plus fréquentes et plus médiatisées », explique le scientifique.

À 8 ans, Gabriel arrête le judo, au grand regret de sa mère, pour se mettre à la natation. Tout sauf une surprise quand on saît que 56% des pratiquants de ce sport ont moins de 15 ans.

Après trois ans de football, Gabriel est déjà l’un des meilleurs joueurs de son équipe. Passé par à peu près tous les postes, il veut désormais s’essayer à celui de gardien de but. Devant les refus incessants de son entraîneur, qui ne veut pas se priver d’un de ses meilleurs éléments sur le terrain, Gabriel demande à ses parents de l’inscrire au handball, en parallèle du football et de la natation.

Dans ce sport pratiqué à 55,3% par des jeunes de moins de 15 ans, Gabriel retrouve de nombreux camarades de classe. « Les enfants veulent papillonner, faire plusieurs sports pour prendre du plaisir », explique Ann-Marie Bendahan, médecin du sport à Strasbourg. Gilles Vieille-Marchiset complète : « Les adolescents ont accès à une panoplie d’activités proposées en EPS et ils n’hésitent pas à changer. Les ados vont tester de nouveaux sports avec leurs amis »

Mais les week-ends de la famille commencent à être chargés. Claire, la petite soeur de Gabriel, a, entre temps, commencé la gymnastique et l’équitation. Des sports très pratiqués par les jeunes filles. Gabriel arrête le handball, puis la natation.

À 14 ans, il ne pratique plus que le football qui, pour lui, est un moyen de passer des bons moments avec ses amis d’enfance qui jouent presque encore tous dans son équipe.

 

15-30 ans, l’ère du sport collectif

Quelques années plus tard, Gabriel a 18 ans. Lors de sa première année de fac, il se passionne pour la culture américaine à travers les séries qu’il regarde. Après sa seconde année, il décide, contre l’avis de ses parents, d’arrêter le football et de rejoindre le Minotaure de Strasbourg, le club de football américain de la ville. Les joueurs de son équipe ont presque tous le même âge que lui et deviennent rapidement ses amis. 70% des joueurs de football américain ont entre 15 et 29 ans. Un chiffre qui ne surprend pas Gilles Vieille-Marchiset : « En choisissant des sports violents, on va chercher la confrontation ».

Gabriel aime les contacts qu’offre la pratique de ce sport, mais ne se trouve, par moment, pas assez résistant. Il décide de se mettre au kick-boxing, dont 45,5% des licenciés ont entre 15 et 29 ans, pour apprendre à encaisser les coups. À 23 ans, il commence à prendre goût à la boxe et son entraîneur décide de le faire participer à un combat. La partie tourne court. Au troisième round, Gabriel est sonné par un violent uppercut.

Son médecin est formel : il va devoir changer d’activité sportive pour préserver sa santé physique et mentale. « Je suis toujours très réticente quand on me parle de boxe chez les petits, commente la médecin du sport Ann-Marie Bendahan. Et même à tout âge. On ne connaît pas un boxeur qui n’a pas de problèmes cérébraux plus tard. Pareil pour le football américain. »

 

À 24 ans, pris par son travail et sa vie de famille, Gabriel n’a plus le temps de pratiquer plusieurs sports à la fois. Il choisit donc de retourner à son premier amour, le football, et de s’y dédier entièrement.

30-45 ans, un risque de décrochage

À 32 ans, Gabriel reçoit une promotion et se retrouve souvent coincé au travail le soir. Ses horaires à rallonge ne lui permettent plus d’aller à tous les entraînements et il décide d’arrêter le football.

Passé 40 ans, il est de plus en plus difficile de pratiquer des sports collectifs. « Quand on pratique un sport en solitaire, il n’y a personne pour dire "t’es moins bon, on ne veut plus de toi" », explique Ann-Marie Bendahan. « Le sport est toujours un peu collectif, on cherche du lien, précise Gilles Vieille- Marchiset. Mais c’est aussi une contrainte : il faut se rencontrer à des horaires précis, alors que dans les sports dits "individuels", non. On choisit donc des sports individuels et inter-individuels, comme le tennis : pas besoin de réunir toute une équipe, c’est plus facile. »

Le sociologue explique aussi qu’à 40 ans, les hommes ont tendance à "décrocher", c’est-à-dire à arrêter toute forme d’activité sportive.  « Beaucoup de sportifs, souvent en raison d’une rupture biophysique (changement majeur pour le corps : blessure, grossesse, maladie…), vont renoncer à la compétition et avoir une perception plus douce de l’activité sportive », commente Gilles Vieille-Marchiset.

Après deux années sans sport, Gabriel commence à voir se développer un embonpoint qui ne lui permet plus de rentrer dans son maillot du RCS. Il s’inscrit au tennis, où il retrouve beaucoup d’anciens joueurs de son club de football. Même si elle diminue avec l’âge, la pratique du tennis reste tout de même élevée pour toutes les générations. La Fédération française de tennis compte presque le même nombre de joueurs chez les 15-29 ans et les 30-44 ans.

« Il y a un effet Roland-Garros, explique Gilles Vieille-Marchiset. C’est dans notre patrimoine, c’est presque un monument. Mais ça reste une activité élitiste. Soit ce sont des héritiers (personnes qui ont appris le tennis petit) et qui continuent de le pratiquer plus tard, soit ce sont de "nouveaux venus", généralement des cadres, qui profitent de l’effet réseau du tennis. »

45-60 ans, la fin de la compétition

Pour son cinquantième anniversaire, toute la famille de Gabriel est réunie. Ses proches lui offrent un sac et une dizaine de clubs de golf. Il a découvert ce sport pendant ses vacances et souhaite rejoindre le club de Strasbourg.

À table, Sergio, son cousin, est très en forme et n’arrête pas de taquiner Gabriel sur la multitude de sports auxquels il s’est essayé. Sergio, lui, a pratiqué le même sport tout au long de sa vie : le cyclisme. Il bombe le torse en estimant qu’il a choisi une activité qui peut convenir à tous les âges.

Après 60 ans, une manière de garder la forme et de tromper l’ennui

Gabriel continue à jouer au tennis jusqu’à 65 ans, mais décide d’arrêter, dégoûté par les mauvais résultats des Français à Roland-Garros. Sa nouvelle passion, c’est le golf. Il profite de sa retraite pour arpenter tous les greens de la région, mais en fait vite le tour et décide de raccrocher les clubs à l’âge de 70 ans.

La compétition manque à Gabriel. Il aiguise désormais sa culture de la gagne sur les terrains de boules strasbourgeois. C’est le troisième sport préféré des personnes âgées de plus de 60 ans.

Mais les boules ne sont pas connues pour le défi physique qu’elles offrent. Lors d’une visite chez son médecin traitant, il se voit conseiller la randonnée pédestre pour continuer à s’entretenir. Les personnes de plus de 60 ans représentent 76% des pratiquants de cette activité. « Je conseille aux personnes atteintes de prédiabète de marcher deux fois 15 minutes par jour pour commencer, explique Ann-Marie Bendahan. En général, on leur propose aussi la gymnastique en salle, ou la natation. »

Gilles Vieille-Marchiset, lui, y voit une conséquence du discours « santéiste » des politiques publiques qui, pour développer le marché du sport, encouragent la pratique d’un sport tout au long de la vie. « Le sport est devenu un véritable marché, explique-t-il. Le Plan vieillir, publié vers le début des années 2010, valorise l’activité physique pour combattre la sédentarité, ce qui a attiré les fédérations, qui proposent des versions adaptées de leurs sports. »

À 80 ans, le corps de Gabriel lui impose ses limites. Difficile pour lui de continuer à faire du sport, le quotidien étant déjà une rude épreuve d’endurance. Il tient néanmoins à se déplacer par lui-même, à l’aide de son déambulateur. Son esprit sportif, lui, reste intact. À chaque match du Racing, il encourage son équipe depuis son fauteuil, en arborant fièrement son maillot bleu et blanc. En France, seulement 2,51% des plus de 75 ans avaient encore une licence sportive en 2014.

Camille Battinger, Marie Dédéban, Nicolas Grelier, Mathilde Obert, Corentin Parbaud, Juliette Vilrobe, Camille Wong

Crédit photo : ©Habib M’henni

Méthodologie :

Les sports présentés ont été choisis après élaboration d’un classement des sports qui avaient la plus grosse proportion de licenciés d’une certaine classe d’âge. À`ceux-ci, on a ajouté quelques uns de dix sports les plus pratiqués en France pour lesquels l’âge des pratiquants présentait des caractéristiques significatives.

Pour élaborer les catégories sports doux, sports violents (qui entraînent forcément un contact physique) et sports individuels, sports collectifs (qui se jouent forcément en équipe), des données ont été retirées. C’est le cas des fédérations sportives comptant moins de 20.000 licenciés, des fédérations multisports et des licenciés qui n’ont pas renseigné leur âge.

Enfin, pour établir la ville de Gabriel, nous avons comparé plusieurs grandes villes françaises afin d’établir laquelle avait les chiffres les plus proches de la moyenne nationale pour ce qui est de la proportion de licenciés par classe d’âge dans les sports les plus pratiqués en France. Ce comparatif nous a mené à choisir Strasbourg comme ville-témoin.

Sources :

 

 

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