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Avril 2002, avril 2017. Deux élections présidentielles, deux seconds tours avec le Front national. Dans le Grand Est, le parti d'extrême droite est en tête au premier tour de ces deux échéances. Mais ces résultats, séparés par quinze années et en apparence similaires, illustrent des réalités territoriales très hétérogènes.

En 2002, Saez sort son tube Fils de France dès le lendemain de l'annonce des résultats de l'élection présidentielle. Plus d'un million et demi de personnes descendent dans la rue pour le 1er mai. Quinze ans plus tard, le scénario a changé. Le parti frontiste est au second tour de l'élection suprême, mais cette fois, point de stupeur. Florian Philippot ou Louis Aliot sont invités sur les plateaux de télévision pour réagir à un résultat parfois jugé décevant. Leur candidate, Marine Le Pen, est deuxième, alors que la majorité des sondeurs la voyaient en tête. 

Entre ces deux échéances, la situation a changé. Le Front national n'est plus un tabou pour une partie des Français, notamment à la suite de la crise économique et financière de 2008. Dans le Grand Est, cette évolution se traduit par une importante progression : en 2002, 15,22 % des électeurs votent pour Jean-Marie Le Pen; ils sont 21,31 % à donner leurs suffrages à sa fille en 2017. L'extrême droite réalise dans la région son troisième meilleur score de France, outre-mers compris.

Pourquoi cette accroissement dans le Grand Est ? La région a une tradition de vote à droite plus marquée qu'ailleurs, mais le basculement vers l'extrême droite n'est pas uniforme. Les électeurs alsaciens, mosellans et champenois de Marine Le Pen ont des caractéristiques communes, mais des influences territoriales sont aussi à l'œuvre dans leur choix du vote frontiste. 

Les grands centres urbains sont ceux qui rejettent le plus l'extrême droite, en 2002 comme en 2017. Nancy, Strasbourg ou Metz par exemple, ont toutes trois placé Emmanuel Macron en tête du premier tour en 2017, avec respectivement 22%, 21% et 18% des voix, tandis que Marine Le Pen n’est installée le podium dans aucune de ces villes. A contrario, les villes et villages ruraux apparaissent comme des terrains favorables au vote pour la famille Le Pen, qui y réalise ses meilleurs scores.

Cette opposition entre villes et campagnes n'est pas le seul critère. Les lieux où le Front national a gagné le plus de voix en quinze ans se situent à l'ouest de la région. En 2017, l'ancienne Champagne-Ardennes, mais aussi l'est de la Meurthe-et-Moselle et le nord des Vosges se détachent de la plaine alsacienne et du bassin mosellan, où le Front national perd même parfois des voix. Les anciens foyers du vote frontiste seraient-ils devenus plus modérés ?

​Si « expliquer, c'est déjà vouloir un peu excuser », pour reprendre la formule de Manuel Valls, on peut toutefois se pencher sur des facteurs qui semblent influencer le vote. Là où le vote de gauche est le plus important est aussi, en général, là où l'abstention est la plus élevée. Le choix du Front national est souvent lié à un vote en faveur d'autres courants souverainistes comme celui que représente Nicolas Dupont-Aignan. Dans les communes où Marine Le Pen réalise ses scores les plus élevés, le leader de Debout La France suit le mouvement. François Fillon est plus clivant. Ses résultats ne sont pas uniformes à l'échelle de la région, avec des pointes à plus de 80% et des flops à 0. A l'inverse d'Emmanuel Macron, qui réunit une proportion d'électeurs plutôt constante dans les 10 départements.

En définissant trois types d'électorat, un « abstention & gauche », un autre « extrême droite & souverainiste » et un dernier « droite traditionnelle », apparaît une carte du Grand Est qui met en relief des régions aux profils de votes différents. Cette typologie n'indique pas quel candidat arrive en tête. Elle met en avant des communes où les résultats électoraux sont similaires. La vallée alsacienne et la Moselle regroupent ainsi une majorité de villes où l'abstention et le vote de gauche sont plus élevés que la moyenne – sans qu'ils soient majoritaires. La droite traditionnelle se retrouve plus à l'ouest, notamment en Champagne, dans le sud des Ardennes et dans l’Aube. L'électorat qui préfère l'extrême droite et les courants souverainistes de droite est dispersé.

Nous avons voulu comprendre d'où venait ce vote, en dépassant les généralités communément admises. Il existe bien une opposition entre villes et campagnes, entre ouvriers et cadres, mais cela relève d'un point de vue sans cesse observé. Ces face-à-face révèlent surtout des circonstances locales particulièrement influentes. Le vote peut être affecté par d’autres facteurs : raisons historiques, démographiques ou confrontations particulières participent au comportement du citoyen devant l’urne, ou à sa volonté de ne pas se déplacer au bureau de vote. Ce sont ces hypothèses que nous avons voulu vérifier, en partant de données précises concernant la population et la situation du Grand Est entre 2002 et 2017. Quatre axes ont guidé ces recherches afin de mettre en avant ce qui compose le terreau du vote FN dans la région. 

>>> Un citoyen se sentant isolé, délaissé par les services de l’État, loin des transports, votera-t-il différemment qu'un citoyen connecté à la 4G à bord d'une des 7 lignes de tramway de l'Eurométropole de Strasbourg ?

>>> Une ville où les jeunes sont moins nombreux s'opposera-t-elle à une ville étudiante, qui attire les cerveaux parfois au-delà de sa propre région ?

>>> L'opposition sociale contre des projets d'aménagements, contestés d'un point de vue environnemental, social ou économique, induit-elle un rejet électoral des partis et personnalités qui  l'ont porté ?

>>> Enfin, faut-il voir dans les inégalités économiques, territoriales ou sociales un facteur expliquant un comportement électoral spécifique ?

Le Grand Est est une nouvelle région qui a été beaucoup contestée : sans cohérence culturelle et économique, elle était perçue comme une simple construction administrative décidée à Paris. L'analyse du vote, qu'il soit en faveur du Front national, pour En Marche ! ou relève de l'abstention, met en lumière ces disparités.

Baptiste Decharme

Méthodologie carte

La carte est issue d'une classification ascendante hiérarchique. Les candidats sont classés en fonction de leurs résultats, et intégrés dans un graphique en deux dimensions. Les résultats des communes sont ensuite placés au sein de ce graphique sous forme d'un nuage de points, les rapprochant des candidats pour lesquelles elles ont plus voté, en comparaison des résultats du Grand Est. Il est alors possible de distinguer trois catégories, une « extrême droite et droite souverainiste », une « gauche et abstention » et une « droite traditionnelle », dans lesquelles les scores des candidats sont au-dessus de la moyenne régionale. Ce sont ces trois catégories qui ont servi à réaliser la carte.

Crédits

Directrice de la publication : Nicole Gauthier

Encadrement : Nicole Gauthier, Etienne Guidat, Raphaël Da Silva

Rédacteur en chef : Baptiste Decharme

Chef d'édition : Laurent Rigaux

Réalisation : Aurélia Abdelbost, Paul Boulben, Kevin Brancaleoni, Simon Cardona, Pierre-Olivier Chaput, Marine Ernoult, Franziska Gromann, Victor Guillaud-Lucet, Pablo Guimbretière, Camille Langlade, Corentin Lesueur, Timothée Loubière, Tanguy Lyonnet, Anne Mellier, Ferdinand Moeck, Sophie Motte, Clément Nicolas, Victor Noiret, Thomas Porcheron, Eddie Rabeyrin, Paul Salin, Léa Schneider, Clara Surges, Margaux Tertre

Encadrement technique : Guillaume Bardet

 

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