Depuis la signature d’un accord avec la direction en août, les salariés se sont résignés à la fermeture du site Knorr de Duppigheim. L’entreprise bas- rhinoise stoppera définitivement sa production fin septembre. Si l’attente a remplacé le combat, la colère demeure.
Il règne une ambiance de fin du monde à l'usine Knorr de Duppigheim, l’atmosphère d’une page qui se tourne. Peu de mouvement au poste de sécurité. Un camion attend paresseusement l’autorisation pour rentrer dans l’entreprise. Le bruit de fond est bien moins fort que prévu. La majeure partie des machines est désormais à l'arrêt. L'entreprise ne produit plus que des soupes déshydratées, faisant encore chuter la quantité produite par le site. L'usine semble presque figée, dans un entre-deux.
Sous un ciel gris, les temps des grèves et du sit-in semblent loin. Depuis que le géant de l’agroalimentaire anglo-néerlandais Unilever a signé les accords de départs (officiellement nommés PSE, Plan de sauvegarde de l’emploi) avec les syndicats début août, la rébellion a cédé la place à la résignation. Les ouvriers ont repris le travail. Ils attendent désormais leur dernier jour de contrat.
Baisse des ventes ou délocalisation déguisée?
La direction va délocaliser en Pologne et en Roumanie. Dans un communiqué, l’entreprise rappelait que l’usine ne tournait qu’à 40% de ses capacités depuis plusieurs années. Si Unilever invoque la baisse des ventes, (-23% en cinq ans) et la concurrence des soupes faites maison, les syndicats répliquent en dénonçant une « délocalisation déguisée » . L’argument économique passe mal, alors que le géant de l’agroalimentaire a fait 5,6 milliards d’euros de bénéfice en 2020. Le combat n'aura pas abouti mais l'empreinte laissée par les grèves successives des 261 salariés demeure.
Des croix imprimées sur des feuilles flottent au vent, accrochées au grillage. Toutes indiquent la même inscription : « 1983-2021 » . Abîmées par les intempéries, personne n'a pris la peine de les changer depuis plusieurs semaines. Le temps des revendications est bel et bien révolu. Collées à une fenêtre, des lettres rouges forment une phrase lapidaire : « Unilever tue l'emploi » . Autant de symboles de la colère et du sentiment de trahison ressentis par les ouvriers. Dans ce cadre, le panneau à l'entrée souhaitant la bienvenue paraît presque incongru.
Des années au service de Knorr
Derrière l'entreprise, quelques ouvriers prennent leur pause sur le parking. Assis sur les bancs installés à la va-vite, ils portent tous le badge et les chaussures de sécurité réglementaires. C'est là qu'ils discutent, décompressent pour un instant. Les quelques rires entendus ne dérident pas des visages soucieux. Ils attendent, toute la sainte journée. Des pauses cigarettes qui s’éternisent et des cafés qui s'enchaînent, au goût d’amertume.
Les employés ne cachent pas leur appréhension de laisser derrière eux deux à trois dizaines d’années aspirées par l’entreprise. Depuis son installation dans la commune en 1983, l’entreprise a créé des liens. Des bandes d’amis, mais aussi des couples et des familles. Les ouvriers ont grandi ensemble, au rythme des ⅜ et des productions de soupe. Knorr ne représente pas seulement un travail, mais aussi beaucoup de souvenirs.
Rêver à d'autres projets
L’avenir est incertain pour la majeure partie des ouvriers, en particulier les plus âgés. Que faire, une fois la cinquantaine passée ? Si Unilever a proposé plus de 80 postes en reclassement, ils ne peuvent pas tous y prétendre. Les autres ont bénéficié d’indemnités de licenciement : de 35 000 à 150 000 euros par personne, ajoutés à un budget de formation de 6 000 à 12 000 euros par salarié.
Alors ils se prennent à rêver à un autre projet, voire le mettre en œuvre, maintenant qu’ils doivent « renoncer à la facilité du CDI » . Reprise des études, reconversion professionnelle… Les gilets oranges brillent une dernière fois dans la grisaille, avant que les ouvriers ne rentrent reprendre leur poste. Une journée qui se répètera encore et encore, jusqu’au clap de fin début octobre.
Leïna Magne