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Par : Tifenn Clinkemaillié

Edwige Roux-Morizot est procureure de la République de Mulhouse et Marie Troussard vice-présidente de Tribunal de Grande Instance de Senlis. Des postes à responsabilités pour ces femmes qui doivent imposer leur autorité face aux prévenus. Toutes les deux racontent la perception de leur pouvoir par les justiciables, souvent masculins, qui n’acceptent pas la figure d’impartialité de leur robe.

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La féminisation à deux vitesses

« La répartition genrée de ma promotion était très inégalitaire, annonce d’emblée Marie Gadilhe, 28 ans, substitut du procureur au Tribunal de Grande Instance (TGI) de Senlis, sur 366 auditeurs on avait entre 70 et 75% de femmes ». Depuis 1981, les auditrices de justice sont majoritaires dans les couloirs de l’École Nationale de Magistrature (ENM) et cette tendance à la féminisation ne cesse de s’accentuer. Au 1er avril 2017, on comptait en France 8313 magistrats, dont 66%* de femmes.

Une féminisation du corps de la magistrature qui correspond d’abord à une féminisation massive des études de droit pour Marie Troussard, vice-présidente du TGI de Senlis : « Dans les facs de droit, il n’y a plus que des filles, il faut prendre le problème à la racine ». En 2010, elles représentaient ainsi 70% des licenciés en droit. Les étudiantes, sont ensuite majoritaires à se tourner vers les carrières de magistrates, au détriment des fonctions d’avocat, ou d’huissier, plus prisées par leurs camarades masculins.

Pour la substitute du procureur, en poste depuis septembre 2018, plusieurs raisons peuvent expliquer cette féminisation massive. « Féminisation entraîne paupérisation. Si une profession se féminise, elle perd en attractivité pour les hommes, détaille Marie Gadilhe, la deuxième explication tient à la fonction même de magistrat. Il apparaît que les hommes aiment le travail d’équipe, les fortes rémunérations et les perspectives d’évolution et de carrière ». « Certains estiment que la rémunération n’est pas à la hauteur de la tâche » tranche-t-elle.

Néanmoins, si les femmes sont plus nombreuses, elles occupent des postes moins prestigieux que les hommes. Une étude du ministère de la Justice, publiée en avril 2018, met en lumière des logiques de spécialisation par âge et une sexualisation de certaines fonctions.

Au premier abord, l’occupation de fonctions hiérarchiques par les hommes semble s’expliquer par leur âge plus avancé. Les magistrats ont en moyenne 53 ans, tandis que la moyenne féminine se situe à 46,5 ans*.

Seulement, à carrière et à âge équivalent les femmes sont désavantagées. Elles sont par exemple quatre fois moins à occuper des positions de chefs de juridictions entre 35 et 39 ans. A l’inverse, les hommes accèdent à ces postes plus jeunes et de manière plus systématique.

Cette répartition par sexe est d’autant plus significative au niveau de la hors-hiérarchie, grade le plus élevé pour les magistrats. Les femmes ne sont que 44,8%* parmi ces derniers. L’étude du ministère de la Justice met en avant un indice de plafond de verre pour chacun des sexes et avance l’existence d’un avantage masculin, à tranches d’âge comparables, dans l’accès hors-hiérarchie. Le simple fait d’être un homme double les chances d’être hors-hiérarchie.

Marie Troussard, vice-présidente du TGI de Senlis souhaiterait candidater à un emploi à la chancellerie. Le poste stable de son conjoint dans la région et sa situation familiale l’empêchent de saisir des opportunités qui implique un déménagement. Un phénomène mis en lumière par l’étude du ministère de la Justice qui explique aussi ces différences, non pas par une discrimination directe, mais par des trajectoires professionnelles contraintes par des logiques familiales.

Source : ministère de la Justice, Infostat Justice, Avril 2018, Numéro 161
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/stat_Infostat_161.pdf

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