La crise de la zone euro provoque des bouleversements institutionnels. Quatre traités devront être ratifiés en 2012. Par ailleurs, les 17 se dotent de quasi-institutions parallèles et consacrent l'existence d'un vrai Conseil européen de l'eurozone de plein exercice. Cette recomposition du paysage de l'Union suppose, sur plusieurs points, l'aval de ses 27 pays membres et notamment du Parlement allemand et de la Cour de Karlsruhe, plutôt pointilleuse et toute puissante.
Quatre eurodéputés, membres du très fédéraliste groupe Spinelli, lors de sa réunion du 8 décembre. Deux d'entre eux participeront à la rédaction de l'accord intergouvernemental, à savoir le Belge Guy Verhofstadt, président de l'ALDE (deuxième à gauche), et le Français Daniel Cohn-Bendit, président des Verts, en tant que suppléant (premier à droite). L'Allemand Elmar Brok (PPE) et l'Italien Roberto Gualtieri (S&D), également membres du groupe Spinelli, figureront aussi dans la délégation du Parlement européen (CUEJ/ François Reigner)
Europe à 28
Le traité d'adhésion de la Croatie, préalable à son entrée dans l'UE au 1er juillet 2013. A ce traité sont annexés deux protocoles, arrachés par l'Irlande et le président de la République Tchèque en échange de leur feu vert au traité de Lisbonne. La première s'assure que sa fiscalité et sa neutralité militaire resteront hors d'atteinte, tout comme l'interdiction constitutionnelle de l'avortement qui prévaut dans le pays. De son côté, Prague fait recenser des clauses d'exemption de la Charte des droits fondamentaux, censées la protéger contre une revendication des Allemands expulsés des Sudètes en 1945 par les décrets Benes.
Europe à 27
Le traité de Lisbonne : un nouveau paragraphe va être ajouté à l'article 136. Il contourne l'interdiction de toute solidarité budgétaire entre les Etats de la zone euro, si celle-ci est menacée dans son ensemble. Sans cette modification, la mise en place du Mécanisme européen de stabilité (MES) serait sans objet. Sa ratification à l'unanimité à 27 est obligatoire, même si le MES ne concerne que la zone euro. Une occasion rêvée pour un pays extérieur à celle-ci d'obtenir des avantages en échange de son assentiment.
Europe à 26 ou moins
L'accord intergouvernemental sur l'Union économique renforcée. Les signataires de la déclaration faite le 9 décembre ignoraient son contenu. Il devrait être écrit et signé par les 17 Etats membres de la zone euro d'ici au mois de mars, et sans doute encore plus tôt. Neuf autres pays pourraient se joindre au processus, même si certains d'entre eux, comme la République Tchèque et la Suède, ont déjà prévenu qu'ils attendaient que le contenu soit précisé pour prendre leur décision. Cette convention, inspirée du modèle de Schengen, devrait au moins contenir le précepte du frein à la dette. Ce qui pourrait poser problème à l'Irlande. Si elle doit changer sa constitution pour y inscrire ce principe, elle sera obligé d'organiser un référendum. Elle prévoiera également un mécanisme d'information mutuel sur les pogrammes d'émissions de dette publique. Enfin, pour accélérer son entré en vigueur, celle-ci pourrait ne nécessiter que 9 signataires, soit la moitié des membres de l'Eurozone.
Europe à 17
Le traité sur le Mécanisme Européen de Stabilité financière : ce traité international pourra entrer en vigueur lorsque les Etats membres représentant 90% des engagements en capital l'auront ratifié. Ainsi, seules les ratifications de l'Allemagne, la France, l'Espagne et l'Italie sont incontournables, chacun des autres pays représentant moins de 10%. L'accord sur le contenu du traité, qui vient d'ête modifié, est le résultat d'âpres négociations, et l'incertitude demeure sur son accueil par le Parlement allemand.
Marion Garreau
Lors du sommet européen du 26 octobre 2011, dix mesures ont été prises pour renforcer la zone euro. L'objectif est d'accentuer la coordination et la surveillance des politiques économiques, toujours dans le souci de réduire les dettes publiques. Une administration parallèle à celle des 27 est en passe de se construire, avec notamment l'instauration de trois nouvelles présidences permanentes.
Ainsi, un Conseil européen de la zone euro est instauré, avec son propre président et la tenue d'un sommet réunissant les chefs d'Etat et de gouvernement au moins deux fois par an. En juillet 2012, l'Eurogroupe, rassemblant les 17 ministres des Finances, pourrait également être doté d'un président permanent basé à Bruxelles.
Autre point important : son « groupe de travail », assemblée informelle réunissant les 17 directeurs du Trésor et les gouverneurs de leurs banques centrales nationales, s'institutionnalise avec l'élection d'un président permanent, basé aussi à Bruxelles. Il pourra recourir à l'expertise des services de la Commission.
Quel rôle pour le Parlement européen?
Cette nouvelle architecture risque-t-elle de marginaliser la Commission et le Parlement européen ? C'est l'opinion de l'eurodéputé Jean-Paul Gauzès (PPE) : « Les craintes de voir minimiser le rôle du Parlement » sont bien présentes. Il estime que « l'orientation prise aujourd'hui met de côté l'esprit communautaire. »
De son côté, l'élue socialiste Pervenche Berès considère que la voie intergouvernementale ne pourra pas se passer des institutions communautaires : « Pour que les propositions issues du traité soient mises en place, il faudra forcément revenir à la Commission et au Parlement. »
Mais voter à 27 des propositions ne concernant que la zone euro n'est pas sans poser problème. L'eurodéputée est la première à avoir soulevé cette question dans l'un de ses rapports. Selon elle, le Parlement doit adapter ses méthodes de travail. Mais à l'heure actuelle, constate-t-elle, il est interdit d'évoquer publiquement ce tabou.
Marion Garreau
Son nouveau fonctionnement
Marion Garreau
Sans l'accord des 16 juges de la cour constitutionnelle de Karlsruhe, l'Allemagne ne peut appliquer les textes européens. (©DR)
Ce sera "nein". Hors de question pour le Bundestag, Parlement allemand, de se faire contourner par le gouvernement allemand même s'il n'est pas opposé sur le fond à l'implication financière de l'Allemagne dans le sauvetage des Etats européens en difficulté. Norbert Lammert, le président du Bundestag a prévenu que de nouveaux traités intergouvernementaux nécessiteraient une fois de plus l'arbitrage de la Cour constitutionnelle allemande. Le sort des traités européens ne serait-il pas dans les mains des sages de Karlsruhe?
L'urgence est-elle constitutionnelle ?
Le mécanisme européen de stabilité (MES) et le fonds européen de stabilité financière (FESF) sont au cœur du bras de fer qui oppose la chancelière Angela Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble au Parlement allemand depuis plus d'un an. Deux recours sont actuellement soumis à la Cour de Karlsruhe. Elle est le garant du droit inaliénable des députés à se prononcer sur toute décision exposant la viabilité des finances publiques allemandes. Ses décisions devraient être rendues en janvier 2012.
La première affaire met en cause les négociations secrètes des termes du traité MES entre février et mai 2011, dont le Bundestag n'a pu obtenir les détails que grâce à l'aide des parlementaires autrichiens. La seconde affaire a été déclenchée en octobre par l'attribution de l'effet de levier d'un milliard d'euros au FESF, qui exposait gravement le Trésor allemand en cas de défaut.
Annoncé sans consultation de la plénière du Bundestag, à l'approche du sommet du 23 octobre, le gouvernement entendait le faire valider en urgence à huis-clos par un comité ad hoc. Mais l'opposition a imposé le débat en plénière, qui s'est conclu par l'adoption de l'effet de levier le 26 octobre, au plus grand soulagement du Conseil européen.
Au coeur de ces deux affaires, une question : la gravité de la situation européenne peut-elle dispenser le gouvernement d'informer et de consulter son parlement ? Pour la Cour, il ne semble pas que l'urgence puisse être invoquée pour laisser carte blanche au gouvernement Merkel. « Les règles du jeu constitutionnelles doivent être préservées même dans les temps difficiles », a déjà souligné le président de la Cour, Andréas Vosskuhle, avant un arrêt sur le fond.
Pour sauver l'eurozone, il faudra donc ménager le parlement
En s'engageant aux côtés des autres dirigeants européens à accorder des prêts bilatéraux aux FMI, dans le contexte d'un risque de défaut de paiement d'un grand Etat européen, Angela Merkel pensait contourner le parlement, via la Bundesbank. Le montant du prêt allemand devrait avoisiner les 45 milliards d'euros. Un montant qui s'ajouterait de fait au plafond fixé par le Bundestag pour la participation allemande au soutien des Etats en difficulté de la zone euro, via la FESF.
Sauf que la Bundesbank elle-même refuse d'assumer seule cette responsabilité. Elle réclame désormais un feu vert explicite du Bundestag. Ces deux exemples montrent bien que la chancelière allemande, parfois caricaturée sous les traits d'un nouveau Bismarck, donnerait plutôt l'exemple d'un pouvoir exécutif contraint de se plier aux règles du jeu démocratique d'un Etat de droit.
Claire Gandanger
Angela Merkel, la chancelière allemande, a besoin du soutien de son parti la CDU pour faire passer les mesures européennes dans son pays. (© DR/ CDU)
La CDU, l'Union chrétienne démocrate, est au cœur de la coalition du Bundestag d'Angela Merkel. Le parti a adopté en congrès le 14 novembre une résolution sur ses objectifs politiques pour l'Europe, qu'elle demande à son leader de porter. Lors du Conseil européen, Angela Merkel a fait approuver deux propositions majeures du parti: le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance et la possibilité de poursuivre les Etats contrevenants à ce pacte devant la Cour européenne de justice.
Mais en multipliant les traités intergouvernementaux, le sommet a court-circuité l'attachement réaffirmé du parti à réviser les traités par la voie communautaire. Il a également ignoré sa vision fédérale d'une l'Europe politique. Le texte propose de renforcer la légitimation démocratique du Parlement européen et d'élire le Président de l'Union européenne au suffrage universel par tous les citoyens européens.
Claire Gandanger