Salimata Diallo, chargée du dispositif de logement d’urgence de l’Afges, s’alarme de la hausse des demandes à Strasbourg.
Comme chaque année, on le sait, les logements étudiants manquent à Strasbourg, classée onzième ville en tension locative, derrière Paris, par L’Étudiant. Avec le Dispositif de logement provisoire, l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg (Afges), propose des chambres d’hôtel ou d’auberge de jeunesse en urgence aux étudiants qui se retrouvent subitement sans toit pour la nuit. Salimata Diallo, chargée de ce dispositif, éclaircit la situation.
À 22 ans, Salimata Diallo est chargée du dispositif de logement provisoire de l'Afges. Photo Lisa Delagneau
Cela fait cinq ans que ce plan d’urgence est mis en place. Voyez-vous la situation s’empirer ?
Aujourd'hui, 72 personnes ont bénéficié du dispositif, dont 21 qui sont hébergées à l’heure actuelle. L’année précédente, nous avons pris en charge 59 personnes, ce qui montre bien que la demande a fortement augmenté en raison de la précarité étudiante.
Quels sont les profils que vous accompagnez ?
Environ 60 % sont des étudiants internationaux. Ils sont très mal préparés au système administratif français. Ils ne savent pas qu’il faut un garant physique pour obtenir un logement, ils ne connaissent pas la garantie Visale (NDLR : caution garantie par Action logement), ils ne savent pas comment postuler, comment éviter les arnaques... Souvent, ils fournissent les mauvais documents dans leurs candidatures au Crous, mais une fois qu’on leur explique étape par étape comment ça fonctionne, ils trouvent un logement. De manière générale, Strasbourg est une ville particulièrement difficile pour se loger.
Et parmi ceux qui connaissent bien les procédures, certains sont quand même en difficulté ?
Oui, ce sont aussi des étudiants boursiers qui logeaient au Crous, mais qui ont perdu leur place en résidence. D’autres étaient dans un hôtel en attendant de trouver une solution, mais n’ont plus les moyens. Certains avaient déjà signé un bail mais ont trouvé leur logement insalubre en arrivant. Deux personnes m’ont dit que leur location était infestée de punaises de lit, par exemple. En fait, la plupart ont déjà un logement, mais ne peuvent pas y entrer tout de suite. Ils ont juste besoin d’un toit urgemment pour quelques jours. Parfois, ce sont des personnes qui pouvaient loger chez leur famille ou un ami, mais se retrouvent expulsées le soir-même, ou sont victimes de violences, ne se sentent pas en sécurité… Certains viennent à l’Afges juste pour discuter, parce qu’ils pètent les plombs, ils ont besoin qu’on les écoute.
Acceptez-vous de loger tous les étudiants qui se présentent à l’Afges ?
Non, on regarde d’abord s’ils ont les moyens financiers et surtout humains d’avoir un logement à titre gracieux, à moins d’une heure de Strasbourg. Et à l’inverse, on n’héberge pas ceux qui n’ont aucune source de revenus, et donc aucune chance d’avoir un appartement rapidement. On préfère les rediriger vers les services sociaux qui sont beaucoup plus compétents pour ça, et qui pourront leur fournir des solutions pérennes comme une aide financière, ou un logement en foyer. Le but du dispositif, c’est de fournir un toit pour 10 ou 20 jours maximum, le temps qu’ils trouvent un autre logement. Mais je dirais que 80 % des personnes ont trouvé une solution une fois les dix nuits passées, même avant.
Outre l'accueil qu'elle propose dans ses locaux, l'Afges peut distribuer des bons alimentaires aux étudiants. Photo Lisa Delagneau
Comment les aidez-vous ?
On ne leur accorde pas seulement un logement provisoire, ce qu’on fait à l’Afges, c’est aussi les accueillir, discuter avec eux, les écouter, et voir comment on peut les conseiller. Nous n’avons pas vocation à nous substituer ni au Crous, ni au service d’accueil des étudiants internationaux. Je ne joue pas le rôle d’une psychologue, je n’ai vraiment pas cette prétention. Mais il y a des personnes qui viennent, qui se posent dans ce salon, qui m’expliquent leur situation. Certains ont été victimes de racisme par exemple. Souvent, ils ont juste besoin d’une oreille, c’est tout. Certains viennent simplement pour se poser, manger et boire un thé. Ils ont atterri ici, c’est la première fois qu’ils sont à Strasbourg, on est un repère pour eux. C’est un accompagnement ponctuel, à notre mesure.
Dans quelles conditions se trouvent-ils quand ils arrivent ?
Une fois qu’on a étudié leur situation et donné un rendez-vous, ils sont à peu près sûrs d’avoir un toit pour la nuit. Donc ils viennent stressés, fatigués, mais déjà plus rassurés. On a aussi des gens qui débarquent avec leur valise, qui sont à la rue depuis deux, trois jours, ça arrive. Ce sont des personnes très fatiguées, extrêmement stressées, ils arrivent dans un état psychologique très difficile. Un jour, j’ai eu le cas d’un étudiant qui était à la rue depuis deux jours au campus d’Illkirch. Ses phrases étaient complètement décousues, il était très mal en point physiquement, et mentalement. Il ne connaissait pas du tout la carte de Strasbourg, il n’avait plus de batterie sur son téléphone, il ne pouvait pas se localiser. J’ai dû aller le chercher à l’arrêt de tram. Je lui ai fait une réservation pour le soir même, et je l’ai accompagné parce qu’il ne pouvait pas trouver l’hôtel. Il n’avait pas de compte en banque, ni de source de revenus. Il y a des situations très choquantes, de personnes en situation de détresse absolue. Certains même n’ont pas mangé depuis plusieurs jours.
Propos recueillis par Lisa Delagneau
Edité par Max Donzé