La destruction annoncée du bois de Bussière au nord de la Robertsau sera-t-elle le désastre pour la biodiversité qu'annoncent ses défenseurs? Des spécialistes de la nature strasbourgeoise établissent un constat plus nuancé.
3 500 m². C’est la surface du bois privé rue de Bussière qui va bientôt disparaître pour laisser place à deux immeubles et une maison dans le quartier de la Robertsau. L’annonce du permis de construire, accordé en mai dernier au promoteur et propriétaire Nexity (voir encadré), a fait bondir les riverains et les élus d’opposition. “C’est une catastrophe pour la biodiversité, le bois de Bussière est le dernier poumon vert du quartier!”, s’insurge la riveraine Christiane Cornec Rubio, à l'origine d’une pétition en ligne demandant le retrait du permis de construire. Mi-novembre, environ 36 000 personnes l’avaient déjà signée. Pourtant, aucune étude approfondie n’a été menée sur le terrain, notamment pour détecter de potentielles espèces sur liste rouge – ce qui aurait pu permettre d’envisager une suspension du projet. Un tel audit coûte entre 3 000 et 5 000 euros selon les estimations de l’Office des données naturalistes du Grand Est: trop onéreux pour les associations de défense de la nature. Aucune ne s’est spontanément exprimée sur le sujet.
Pins, mésanges et chevreuils
La destruction des pins sylvestres, peupliers et marronniers aura un impact indéniable pour les riverains. Mais les espèces qui nichent actuellement dans cet espace ne devraient pas trop pâtir de sa disparition. “Il n’y a pas de cigogne blanche là-bas. Les mésanges, rouges-gorges et pics s’en sortiront très bien si des nichoirs sont installés dans les futurs jardins”, avance Bernard Irrmann, membre de la Ligue de protection des oiseaux (LPO). “On les entend beaucoup ici, à tel point que parfois on ne s’entend plus parler, et c’est super! Ce serait une vraie perte de ne plus les avoir”, se lamente pour sa part Christiane Cornec Rubio, dont le balcon fait directement face au bois.
Écureuils, chevreuils, blaireaux et sangliers seront eux aussi contraints à l’exil. “On est à côté d’une grande réserve de l’Eurométropole, qui s’étend sur des milliers d’hectares, donc le petit bois qui va être détruit c’est peanuts!”, confie Mathieu Bafaro, responsable pédagogique au Centre d’initiation de la nature et de l'environnement (Cine) de Bussierre. “Certes, cela sera une destruction de leur milieu naturel mais les animaux se rapatrieront vers la réserve naturelle.”
Le triton crêté se reproduit dans la mare de Bussière de mars à juillet. Le reste du temps, il vit à proximité de milieux humides. ©Frédéric Petitpretz
Sur un balcon de l'immeuble où vit Christiane Cornec Rubio, les riverains ont accroché une banderole en signe de protestation. ©Théodore Laurent
Destruction d’un habitat naturel
La migration des animaux est possible car le bois de Bussière fait partie d’une trame verte et bleue, sorte de corridor écologique permettant de relier différents réservoirs de faune. Les conséquences de son remplacement par des logements sont “la destruction et la fragmentation des habitats”, comme l’explique l’Eurométropole sur le site Strasbourg ça pousse. “Certains effectifs sont en net déclin avec la disparition des habitats. C’est le cas du triton crêté qui vit dans le bois”, alerte Frédéric Petitpretz, bénévole au sein de Bufo, l’association d’étude des amphibiens et reptiles d’Alsace. Selon lui, le plus grand triton de la région, au ventre jaune vif ponctué de ronds noirs, se reproduit dans les mares rue de Bussière de mars à juillet et “fait sa petite vie terrestre la plupart du temps, sous des feuilles, des racines ou des souches”. Pour assurer la survie de cette espèce classée “quasi menacée”, il faudrait une mare tous les kilomètres environ.