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Les artistes strasbourgeoises Éliane Karakaya et Valentine Plessy travaillent régulièrement dans la forêt de la Robertsau. Elles y trouvent inspiration, modèles et même matières premières.

“La forêt de la Robertsau est l’un des milieux les plus intéressants parce que très préservée et très riche”, apprécie Valentine Plessy. Cette illustratrice naturaliste strasbourgeoise va régulièrement chercher dans les 493 hectares de cette réserve naturelle l’objet de ses dessins: héron cendré, mulot, blaireau. Quand il ne fait pas trop froid, elle peut y passer une journée entière, carnet et crayons à la main. “C’est plus des notes que des dessins, c’est pour retenir quelque chose.” Croquis auxquels elle ajoute des annotations parce que son métier suppose “[d’]avoir des connaissances générales sur la faune et la flore”: ces travaux illustrent des propos scientifiques.

Elle n’est pas la seule à utiliser la forêt de la Robertsau pour nourrir son art. Éliane Karakaya, une autre quadragénaire, s’y rend tous les jours, parfois même dès 7 heures du matin, pour s’imprégner des brouillards flottants. C’est principalement là que la peintre de profession puise l’inspiration pour ses tableaux sur les forêts rhénanes.

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Valentine Plessy dessine à son bureau. ©Amine Snoussi

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Eliane Karakaya dans son atelier. ©Louison Fourment

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©Louison Fourment

Croquer la faune et la flore

“C’est ma forêt de cœur", confie l’artiste issue de la Haute école des arts du Rhin (Hear). Elle retourne souvent auprès de trois arbres qui la touchent particulièrement, un très vieux pommier, un peuplier noir, un grand chêne. Ils reviennent dans nombre de ses œuvres: un trait adroit d’encre noire pour le peuplier, une forme brune plus confuse à l’aquarelle pour le chêne, une courbe ocre décidée pour le pommier. Assise sur un banc ou perchée sur un observatoire à oiseaux, Éliane Karakaya s'imprègne le plus possible de “la vitalité que la forêt a en elle, son énergie”. Au crayon, elle croque ce qui l’inspire dans son carnet pour laisser libre cours à son imagination, une fois rentrée à son atelier.

"Là, je vais travailler sur un guide des balades pour Strasbourg. C’est typiquement l’occasion de me balader à la forêt de la Robertsau”, s’enthousiasme Valentine Plessy. Sur place, elle utilise son savoir pour identifier les animaux qu’elle guette. Si je cherche une libellule, je ne vais pas regarder n’importe où, je sais sur quel arbre elle va se poser, ce qu’elle va faire.” Mais elle ne peut pas toujours “travailler en direct”, la forêt de la Robertsau ne recelant pas toutes les espèces que lui demandent de dessiner les revues Salamandre et Terre Sauvage avec lesquelles elle collabore.

Réalisme et abstraction

Valentine Plessy veut retranscrire au mieux l’apparence et les comportements de ses sujets d’étude. “Si j’ai fait plein de croquis des différentes attitudes d’un oiseau, je vais pouvoir choisir quelque chose qui m’a plu, le redétailler et mettre de la couleur.” Une étape durant laquelle elle utilise l’aquarelle ou le crayon.

Éliane Karakaya, elle, ne peint pas la réalité mais son ressenti. “J’ai toujours l’impression de marcher un peu sur le fil de l’abstraction.” Ses tableaux laissent suggérer les formes d’une forêt dont elle est proche, sans complètement les montrer. La peintre fabrique même ses propres couleurs à partir d’éléments récoltés dans les bois. Pour faire du fusain, elle utilise des mûres ou les restes d’un hêtre foudroyé. Mais elle tient à garder secrète la recette de son encre. “Elle a un pouvoir de diffusion assez particulier, elle va un peu où elle veut et je suis le chemin qu’elle prend. C’est vraiment le fil de mon inspiration.”

Tara Abeelack et Louison Fourment

Carrousel d'oeuvres d'Éliane Karakaya et de Valentine Plessy. ©Éliane Karakaya et Valentine Plessy

Au CINE : la nature à livre ouvert

Le Centre d’initiation à la nature et à l’environnement (Cine) de Bussière accueille mise aussi sur la culture pour éveiller à la nature. 

En 2077, “rien à signaler, à part un milan noir qui s’est égaré. Tout va bien. La canopée qui s’étend de la Wantzenau Robertsau à Illkirch Neuhof est saine”. Ce premier dimanche de novembre, dans une petite salle à l’étage du Cine, une quinzaine de personnes assises en cercle écoutent l’éco-fiction de l’auteure alsacienne Catherine Redelsperger. Dans sa nouvelle Et si nous habitions la forêt?, écrite spécialement pour le salon annuel “De la nature du livre”, l’héroïne, une adolescente qui vit avec sa grand-mère, est l’une des premières à avoir choisi de s’installer dans une maison dans les arbres. 

Après la lecture, l’écrivaine demande au public de construire la suite de l’histoire. Les plus petits aimeraient un “chien volant”. Une petite fille grimace lorsqu’il est question des toilettes sèches. Ses parents s’interrogent sur la gestion politique de la communauté qui vit dans la forêt.

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Catherine Redelsperger conte son éco-fiction à un public attentif. ©Léna Sevaux

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Le 6 et 7 novembre 2021, le Cine a accueilli le salon ''De la nature du livre''. ©Léna Sevaux

Une structure institutionnalisée 

Les Cine cherchent à croiser plusieurs thématiques pour attirer “des publics différents”, expose Mathieu Bafaro, animateur nature à celui situé à la Ferme Bussierre. Sept salariés et une dizaine de bénévoles y organisent au moins trois ateliers par jour pour les scolaires de l'Eurométropole. Dix centres labellisés Cine sont implantés en Alsace.

À côté du salon “De la nature du livre”, où 800 à 1 000 personnes, amoureux de la forêt et amateurs de littérature se mêlent chaque année, des expositions complètent l’offre culturelle. Ce qui permet, selon Bernard Irrmann, vice-président de l’association gestionnaire du centre, de “toucher les gens qui s'intéressent à la culture et pas forcément à l'environnement, et qui, en venant au Cine, font le lien entre les deux par l'émotion”.

Tara Abeelack et Amine Snoussi

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