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C’est un château, un stade, une rue... et surtout une femme. Mélanie de Pourtalès a marqué l’histoire de Strasbourg mais reste méconnue. Tout comme Anne-Marie Fritscher, autre oubliée de la Robertsau.

Un vieil homme avoue ne “pas la connaître du tout”. Mélanie de Pourtalès, c’est aussi “la princesse de je-ne-sais-plus-quoi” pour un jeune couple qui arpente la rue éponyme. “Ou alors une sœur?”, se demande une jeune habitante. “J’en ai toujours entendu parler, je suis née ici. Je sais qu’il y a eu un livre sur elle”, assure une autre Robertsauvienne, sans pouvoir donner plus de détails. La majorité des habitants n’associent son nom qu’au château, bien qu’elle soit reliée à d’autres lieux du quartier. Leur familiarité avec Mélanie s’arrête souvent là, au bout de la rue.

Service minimum pour la grande dame de la Robertsau

“L’histoire n’a pas réservé à Mélanie de Pourtalès la place qu’elle méritait”, écrivait déjà Robert Grossmann dans la biographie qu’il a consacrée à la comtesse en 1995. Avec son ouvrage, l’homme politique endosse le rôle d’ambassadeur de cette célébrité du XIXᵉ siècle. La notoriété de Mélanie tient alors à l’entêtement d’un seul homme. En 2019, sous son impulsion, la Ville tente d’acheter le portrait de la comtesse par Winterhalter. Le projet avorte par manque de moyens. De son côté, Monique Fuchs, conservatrice en chef du Musée historique de Strasbourg, assure “travailler à une forme de souvenir [autour de Mélanie]”. Mais ce sont les maisons de ventes aux enchères qui fixent le calendrier. Comme le musée n’entretient aucun lien avec sa descendance, il est contraint à l’attentisme. Ce qui s’observe aussi sur la tombe de l’illustre défunte. 

Le caveau privé des Pourtalès, où Mélanie repose, se trouve au sein d’un vaste enclos attenant au cimetière. Fermé à clef, il est inaccessible au public. Depuis l’entrée, il est difficile d’apercevoir les sépultures, cachées sous les branches et les herbes hautes. Nicolas Bonnier, responsable de la police des opérations funéraires de la Ville de Strasbourg, reçoit régulièrement des plaintes d’habitants de la Robertsau. Mais il ne peut agir sur ce lieu qui relève du privé: “La famille est en Suisse, nous n’intervenons donc qu’a minima, lorsqu’il est question de sécurité.”

Anne-Marie Fritscher, une oubliée plus discrète 

À quelques mètres de là, dans la partie publique du cimetière, une tombe détonne. La stèle, surmontée d’une imposante croix en pierre blanche, penche dangereusement. Un buisson touffu planté à ses pieds gagne du terrain sur les tombes voisines et masque la plaque funéraire. Cette tombe, c’est celle d’une autre oubliée, une femme qui a agi dans l’ombre, aux antipodes de Mélanie. Inutile donc de demander aux Robertsauviens s’ils la connaissent. Anne-Marie Fritscher, en religion sœur Gaëtan, est une figure religieuse notable de la Robertsau qui s’est engagée pour la protection des mères célibataires au XIXᵉ siècle. 

D'un château à un arrêt de tram, Mélanie et la famille Pourtalès ne cessent de marquer l'histoire. ©Delphine Schiltz et Corentin Chabot

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Devant le 85, rue Mélanie, les passants ne connaissent pas la famille Pourtalès malgré leur présence dans le quartier. ©Delphine Schiltz 

Mais la seule publicité à laquelle elle a le droit se trouve à… l’entrée du cimetière. Une affichette anonyme datée de 2005 résume sa vie en quelques lignes, quand les journaux de l’époque consacraient à la défunte plusieurs chroniques. “Les obsèques de la sœur Gaëtan ont eu lieu vendredi matin à la Robertsau, au milieu d’un immense concours de la population”, peut-on lire dans l’édition du 6 février 1889 des Affiches de Strasbourg

Pour entretenir le souvenir d’Anne-Marie Fritscher, la Ville a classé sa sépulture “tombe remarquable”. Dans les faits, cela ne donne droit à rien de plus qu’à de l’élagage, du fleurissement dans le meilleur des cas. En prime, la mairie a édité il y a 13 ans un carnet d’informations regroupant les stèles remarquables du cimetière Saint-Louis dans lequel apparaît la religieuse. “Les recherches qu’on a menées pour ce carnet étaient très sommaires”, convient Benoît Jordan, conservateur en chef du patrimoine aux Archives de Strasbourg. Des centaines d’exemplaires encore emballés dorment dans la cave des services funéraires de la Ville.
 

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La végétation est reine dans l'enclos funéraire de la famille de Pourtalès. ©Delphine Schiltz

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La simple croix en pierre blanche posée sur un bloc de poudingue rappelle la mémoire d'Anne-Marie Fritscher. ©Corentin Chabot

Le cimetière Saint-Louis, le plus petit de Strasbourg, accueille l'enclos funéraire des Pourtalès et la tombe d'Anne-Marie Fritscher. ©Delphine Schiltz et Corentin Chabot

Les associations plus efficaces? 

À l’échelle locale, ce sont surtout les associations qui prennent en charge le travail de mémoire. Le comité du Souvenir français de la Robertsau a récemment fait ajouter le nom de sept Robertsauviennes à une stèle commémorative en hommage aux morts pour la France. Jean Chuberre, président du comité, explique qu’il a remonté la piste de ces citoyennes ordinaires jusqu’aux archives du Mémorial de Caen. Le 13 juin dernier, sur proposition du service funéraire, la troupe de théâtre “La Mort est dans la boîte” a fait revivre cinq anonymes inhumées au cimetière Nord. 

Sortir les femmes de l’oubli demande une ténacité et une inventivité dont ne semble pas bénéficier Mélanie de Pourtalès, personnalité admise à la cour napoléonienne, peinte par Renoir et citée par Proust. Nicole Dreyer affirme que la place des femmes dans le patrimoine a été une priorité de la municipalité dont elle a été l’adjointe du quartier de 2008 à 2020. Elle met en avant la féminisation de quelques noms de rue. Quant à Mélanie, elle estime qu’elle est déjà assez présente à la Robertsau. On ne trouve pourtant aucune trace d’elle dans les politiques culturelles de la ville. Le Musée historique confirme qu’aucune exposition ne lui a été consacrée. Sollicitée, la nouvelle adjointe à la culture, Anne Mistler, n’a pas répondu à nos questions.

À ce titre, il peut être cruel de faire remarquer que la médiathèque Mélanie-de-Pourtalès, au cœur de la Robertsau, n’a jamais proposé d’animation en rapport avec celle dont elle a pris le nom, comme le reconnaît Vanessa Sayas, directrice adjointe de l’établissement. Y compris à l’occasion des journées “Médiathèques en débat”, du 13 au 24 novembre, qui portaient sur l’invisibilisation des femmes dans l’histoire.

Delphine Schiltz et Corentin Chabot

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