Infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes : les soins à domicile pour les personnes âgées ont la cote. Foisonnante, l’offre libérale se développe pour répondre à la demande.
Depuis vingt ans, Patricia Hilpert, infirmière libérale dans un cabinet route de La Wantzenau, sillonne les rues de la Robertsau au volant de sa voiture. Elle va du domicile d’un patient à un autre. “Je rends visite aux premiers vers 6h, raconte-t-elle. Je m’occupe d’abord de ceux souffrant du diabète. J’estime qu’ils sont prioritaires, les autres peuvent prendre leur petit-déjeuner en pyjama.” Elle constate que tous ses patients, âgés en moyenne de 80 ans, préfèrent vieillir chez eux. “On ne déracine pas un vieil arbre, sortir une personne âgée de son contexte et de ses repères c’est la faire dépérir à petit feu.”
Une densification de l’offre libérale
Vieillir à la maison séduit de plus en plus. À la Robertsau, ce phénomène est facilité par la grande densité de l’offre de soins. “Il y a vingt ans, les cabinets d’infirmiers étaient au nombre de quatre ou cinq, aujourd’hui nous ne sommes pas loin d’une douzaine, explique Patricia Hilpert. Comme beaucoup d’infirmières sont venues s’installer, les personnes âgées ont pu rester chez elles.” Une loi est sortie sur le zonage d’installation de cabinets. À partir du moment où les cabinets d’infirmiers libéraux sont dans une zone surdotée, l’ordre infirmier ne permet plus de s’installer. Une configuration qui s’applique au quartier.
Les infirmiers ne sont pas les seuls. Kinésithérapeutes, aides-soignants, podologues… l’offre n’a cessé de s’étoffer. La rue Boecklin dénombre à elle seule 106 praticiens libéraux. “Entre le médecin traitant, les auxiliaires de vie qui passent au domicile des personnes, l’Abrapa, les sociétés de service O2, Tenor… rien ne manque”, énumère l’associé de Patricia Hilpert. Les plus de 60 ans, qui représentent 26% de la population du quartier, bénéficient de cette offre.
“Mettre sa vie dans une valise”
L'infirmière Patricia Hilpert tisse un lien avec chacun de ses patients, prenant de leurs nouvelles même en cas d'hospitalisation. ©Charlotte Thïede
A l’opposé, les Ehpad attirent moins. “Avant, les maisons de retraite avaient le vent en poupe, maintenant on ne choisit plus de venir”, constate Nathalie Laeng, psychologue au sein de l’association Alsace Alzheimer depuis 1994. Elle exerce également depuis 25 ans dans les maisons de retraite: “La vieillesse n’est pas une maladie, c’est une étape normale. C’est quand les maladies apparaissent que les questions de dépendance résonnent.” Elle conclut: “Pour la personne âgée, quitter son domicile c’est perdre son identité et mettre sa vie dans une valise.”
Patricia Hilpert pourrait prendre plus de patients mais elle s’y refuse. L’humain passe avant tout pour l’infirmière. ©Charlotte Thïede
Avant de devenir libérale, Patricia Hilpert a longtemps travaillé en Ehpad. Elle estime que “le côté humain s’y perd tout doucement” alors qu’il persiste au domicile des patients. “À l’Ehpad, les patients sont sur votre territoire. Vous leur faites une injection, puis posez une perf et vous repartez. À la maison, l’infirmière est l’étrangère, elle se doit de respecter la personne”, souligne-t-elle.
Aujourd’hui, l’Ehpad apparaît comme le dernier recours pour des familles qui ne peuvent maintenir la personne âgée chez elle. Nicole, sexagénaire et résidente à la Cité de l’Ill, “préfère avoir du maintien à domicile le plus longtemps possible, comme [sa] mère. Elle est restée auprès de sa famille jusqu’au dernier souffle”. Au pied de la tour Schwab, rue de l’Ill, elle pointe du doigt la Maison urbaine de santé ouverte en janvier 2021. “Nous, les personnes âgées, avons désormais tout ce qu’il faut ici pour satisfaire nos soucis de santé”, sourit-elle.
Anaëlle Forveille et Charlotte Thïede
La crise sanitaire a fortement touché la maison de retraite. Ramener les résidents à leur domicile s’est avéré impossible pour deux familles.
Avachie dans son fauteuil roulant, le dos cambré et la tête baissée, Jacqueline Lechten, octogénaire, reste muette. Adrien Henninger, son fils, est assis à côté d’elle. Depuis des mois, un jour sur deux, Adrien et son frère enchaînent les visites dans la chambre 316 pour donner le goûter à leur mère. “L’année dernière, quand il y avait le Covid, mon frère voulait la ramener à la maison”, lâche-t-il entre deux bouchées de tarte aux pommes. Mais le projet a vite avorté. En plus d’une “présence permanente d’un aidant, la maison doit être équipée face aux besoins de la personne âgée”, reconnaissent les deux frères.
Quelques chambres plus loin, Marie-Thérèse, 94 ans, a encore toute sa tête. Durant la pandémie, elle a communiqué avec ses proches grâce aux “systèmes de vidéo", comme en témoigne sa fille Michelle. Une solution qui a facilité le maintien des liens. Or “la vidéo ne fonctionnait pas tout le temps, on a eu envie de l’avoir près de nous”, confie sa fille. Mais la nonagénaire a attrapé le coronavirus. Impensable de la transférer. Michelle Lechten s’est finalement résolue, entourée de l’équipe de l’Ehpad: “On m’a rassurée en me disant qu’on m’habillerait en cosmonaute s’il le fallait.”
Adapter le domicile des personnes âgées
Pour vieillir à la maison, des aménagements spécifiques s’imposent. Les points fondamentaux consistent à faciliter les déplacements entre chaque pièce et à éliminer les éléments pouvant présenter un danger. Pour y faire face, la salle de bains est une pièce stratégique. Il est impératif d’y ajouter des barres de maintien et de changer la baignoire en douche. Des aménagements qui représentent un coût important. Les personnes âgées peuvent bénéficier de subventions comme l’Aide personnalisée d’autonomie dont le montant varie en fonction de leur état de dépendance.
Directeur de l’Ehpad, Christian Lutz a dû intervenir pour convaincre les familles de ne pas ramener leurs proches au domicile. ©Charlotte Thïede
Le risque du retour à domicile
Pour les séniors, tout a changé le mercredi 11 mars 2020 lorsque le gouvernement a suspendu les visites dans les maisons de retraite. “Deux familles de résidents se posaient la question d’un retour à domicile”, reconnaît Christian Lutz, le directeur de l’Ehpad Im Laeusch. C’est dans son bureau qu’il a passé le plus clair de son temps lors du premier confinement pour répondre aux demandes des familles. Celles-ci s’inquiétaient de ne plus pouvoir rendre visite à leurs parents.
Face à cette détresse, Christian Lutz a dû intervenir pour que des décisions ne soient pas prises sur un coup de tête: “Les familles voulaient les rapatrier sans se rendre compte des risques que cela comportait.” Finalement, à force de persuasion, Jacqueline et Marie-Thérèse sont restées au sein de l’Ehpad.
Anaëlle Forveille et Charlotte Thïede
Anaëlle Forveille et Charlotte Thïede