Implantée au cœur de la Cité de l'Ill, la Maison urbaine de santé (MUS) propose un dispositif de lutte contre les addictions, mais celui-ci est peu sollicité par les habitants.
“Tu vois, la bière, c’est un piège. Avant je buvais ça et j’étais en état de dépendance.” Hervé sort de la Maison urbaine de santé (MUS) de la Cité de l’Ill. Il est venu prendre rendez-vous avec la psychologue du Réseau micro-structure (RMS), qui propose notamment de l’aide aux personnes qui veulent soigner leurs addictions. Il accepte d’évoquer son traitement contre le VIH, les conséquences de son ancienne addiction à l’alcool mais aussi ce que la MUS lui a apporté dans les moments les plus difficiles. "Les médecins, ils se donnent à fond. Moi quand j’avais besoin de parler, ils écoutaient. “Hervé a soigné son addiction à l’hôpital de jour de Strasbourg, en centre-ville. Mais aujourd’hui c’est à la MUS qu’il se rend une fois toutes les deux semaines pour assurer son suivi. “Je sais que si j’en bois pendant quatre jours, de cette merde, après je suis en manque et dès le matin il me faut une bière.”
Le diagnostic de santé partagée, commandé par la Ville de Strasbourg en 2013, indique que “l’alcoolisme à la Cité de l’Ill était normal il y a quelques années, il commence à être perçu comme un problème maintenant.” Toujours selon ce rapport, l’alcool n’est pas la seule addiction présente dans le quartier. “Il semble que les produits les plus couramment consommés soient l’alcool et le tabac, mais des consommations de cannabis et de médicaments de type anxiolytique ont également été soulignées.”
La Maison urbaine de santé est implantée dans les locaux du 42, rue de l'Ill depuis le 4 janvier 2021. ©Pierre Bazin
Certains stupéfiants, dont la présence avait déjà été relevée en 2013, ont gagné du terrain. "Moi, quand j’étais jeune, c’était un petit peu le cannabis et l’héroïne. Mais c’était dans un cercle fermé. Aujourd’hui, tu traverses la cité et on te dit: “Tu veux de la coke, de l’héro, du shit?”, avance Hervé. “Tout le monde sait qu’ici on trouve toutes sortes de drogues”, ajoute Yacine qui habite dans une barre et admet consommer du cannabis.
Du côté des associations pour jeunes, la réponse à la question des drogues dans la cité est plus nuancée. Un éducateur confie que la situation de la Cité de l’Ill n’est pas pire qu’ailleurs. Selon lui, les consommateurs qui achètent des stupéfiants ne résident pas forcément dans le quartier. En matière de lutte contre les addictions, le docteur Pierre Tryleski était convaincu qu’il fallait proposer des soins spécifiques à la Cité de l’Ill.
En 1988, lorsqu’il s’installe dans le quartier, il prend cet enjeu à bras le corps. Il participe à la création de la microstructure. “On s’est dit que, pour un patient qui a des problèmes d’addiction, il y a bien un accompagnement médical à faire mais aussi psychologique et social”, précise-t-il. En 2014, lorsque la Maison de santé de la Cité de l’Ill voit le jour à son initiative, elle propose un accompagnement par des professionnels spécialisés dans la prévention et le traitement des addictions. Aujourd’hui encore, psychologues, infirmiers, médecins ou travailleurs sociaux se retrouvent au même endroit pour aider ceux qui ont décidé de remédier à leur dépendance.
Une volonté d’être présent dans le quartier
Au sein de la microstructure, la psychologue et la travailleuse sociale proposent une aide aux personnes en situation d’addiction ou de précarité. “Quelqu’un qui est dans l’addiction peut tomber dans la précarité”, relève Florence Duvivier, travailleuse sociale, qui reçoit uniquement des patients orientés par les médecins de la MUS. En étant membre de l’association Ithaque, spécialisée dans la prévention et les soins pour toute addiction, elle apporte aussi des conseils pour réduire les risques relatifs à la consommation.
Léa Le Doujet quant à elle, travaille avec un public âgé de 11 à 25 ans dans le cadre du Point accueil écoute pour les jeunes (PAEJ). Parmi la quarantaine de patients qu’elle reçoit, peu nombreux sont ceux qui la rencontrent pour parler uniquement de leur consommation de drogues. Mais selon la psychologue, un quart de ses patients environ évoque le sujet au fil des séances. Ce qui est important, à ses yeux, “ce n’est pas de leur dire de réduire leurs cigarettes mais plutôt d'être à l’écoute”.
Vincent Troesch intervient à la MUS depuis 2018. ©Pierre Bazin
Une philosophie partagée, dans le bureau d’à côté, par Vincent Troesch, infirmier de l’association Asalée (Action de santé libérale en équipe). Il suit des patients atteints d’une maladie chronique et assure un accompagnement pour les consommateurs de tabac. “Le but final est de rendre le patient autonome. C’est ce qu’on appelle de l’éducation thérapeutique", explique-t-il. Une approche qui vise à travailler, avec les patients, sur l’amélioration de leur quotidien en leur réapprenant parfois à mieux manger, à reprendre une activité physique et à réduire, pour ceux qui sont concernés, les consommations addictives.
Un dispositif peu sollicité
Pourtant, mis à part la consommation de tabac, Vincent Troesch traite peu de cas d'addiction. “J’ai très peu de patients pour des addictions, soit parce qu’ils ne sont pas prêts ou alors parce qu’ils ont d’autres soucis comme des problèmes socio-économiques et que la santé n’est pas forcément leur priorité. Il y a aussi le phénomène 'j’aimerais bien mais j’ose pas' ou 'je ne suis pas prêt' ", complète-t-il. Yacine apporte un élément de lecture supplémentaire: certains habitants ressentent de la défiance à l’égard des pouvoirs publics et rejettent à ce titre le centre médical. Ce facteur peut contribuer à expliquer le manque de sollicitation des dispositifs existants.
Pierre Bazin et Suzie Bernard-Meneguz
Schéma de l’organisation des professionnels spécialisés dans les addictions à la Maison urbaine de santé ©Pierre Bazin et
Suzie Bernard-Meneguz