Ils sont avocats, retraités ou héritiers et vivent à la Robertsau. Les propriétaires évoquent leur attachement au quartier vert.
Jérôme Caen a acheté sa maison rue Adler il y a sept ans. La demeure, construite dans les années 30, s’étend sur trois étages traversants et lumineux. Cela fait 32 ans que l’avocat quinquagénaire habite la Robertsau. “Avant, je vivais dans une autre maison, dans la ruelle des Cafés Henri”, se souvient-il. Il a vu le secteur perdre peu à peu ses espaces verts au profit de logements collectifs. “Aujourd’hui, on sent beaucoup plus de densité. C’est un danger pour le charme du quartier”, s’inquiète le Robertsauvien, assis devant la baie vitrée du salon. Dans la rue de Jérôme, les propriétaires font construire des piscines chauffantes. “Je l'ai envisagé”, avoue-t-il, montrant son long jardin depuis la terrasse en bois dur. Avec la crise sanitaire, il a préféré mettre de côté ce projet. Et puis “ce n’est pas très écolo”. L’avocat est le père d’un garçon de 2 ans et demi qui va à l’école de la Robertsau située à deux pas de chez lui, au 18, rue Adler.
De sa fenêtre du troisième étage, Claudine Jost jette un regard à son parterre de fleurs. “Il n'y en a plus beaucoup, des jardins comme ça à la Robertsau”, déplore la vice-présidente des Amis du jardin botanique de Strasbourg. Sa bâtisse beige d'époque Neustadt, avec sa tourelle d’angle et ses mansardes rassemblées en un appartement, Claudine l’a héritée de ses parents en 1994, qui l'ont eux-mêmes acquise auprès de son constructeur après la Seconde Guerre mondiale. Ces grandes maisons accueillaient les propriétaires au rez-de-chaussée et des locataires à l'étage. “Là où, avant, deux ou trois familles vivaient ensemble, aujourd'hui les gens achètent leur maison pour y habiter seuls.” Claudine a maintenu cette tradition à sa manière: elle a aménagé un gîte il y a six ans. Toute l’année, elle loue son deuxième étage à une clientèle variée, “notamment à des gens qui rendent visite à leur famille”.
En 1996, les parents de Claudine Jost lui ont légué cette maison, située près de l’école de la Robertsau. Elle y a aménagé un gîte à l’étage supérieur il y a six ans. ©Baptiste Candas
“On veut acheter votre terrain”
André Fuchs est lui aussi héritier, mais d’une famille bien plus ancienne. Il est le descendant du pêcheur Georg Fuchs, fondateur du lieu-dit Fuchs am Buckel, qui a vécu à la fin du XVIIIe siècle. Devenus par la suite des restaurateurs reconnus, ses ancêtres lui ont légué des terres au nord de la Robertsau. Aujourd’hui, André habite route de La Wantzenau, en face de la pagode vietnamienne Phô-Hien. Sur son terrain de 32 ares, l’ancien professeur d’histoire a fait construire une grande maison à la décoration baroque dans les années 70. Un patrimoine de plus en plus convoité: “Je reçois la visite d’au moins un promoteur par mois”, soupire-t-il. Les trois agences du secteur confirment la tendance, qui s’est accélérée depuis le premier confinement. “Ici, on note une augmentation de près de 8% du prix des biens en 2020”, confie un employé d’ASI (Agence Strasbourg Immobilière).
Dany Kretz est avocat à la retraite. Habitant de longue date de la Robertsau, il a acheté une maison en 1988 route de La Wantzenau, inspirée du style très marqué de la cité des Chasseurs (voir La cité des Chasseurs grignotée de l'extérieur). “Mais elle n’est pas construite en bois, je l’ai seulement recouverte de planches, pour qu’elle ait un aspect plus sympathique.” Il y a construit une véranda vitrée en 2015. Selon ses dires, Dany vit dans l’un des secteurs les plus changeants de la Robertsau: “Ici, on construit énormément. Dans le temps, la Robertsau était verte.” (voir Biodiversité : ça déménage au bois de Bussière) À quelques mètres de chez lui, Edifipierre a fait aménager un ensemble collectif de près de 80 logements. Le jardin de Dany donne sur un champ, qui accueillait autrefois un espace de libre cueillette. “Avant, je voyais le bois. Maintenant, l'atelier construit par mon voisin me le cache. Mais les chevreuils viennent encore”, sourit-il.
©Baptiste Candas et Quentin Celet
André Mauchoffé (à droite) est propriétaire depuis 1977 d’un ancien corps de ferme rue Hechner. Son fils, Régis (à gauche), a rénové la grange il y a une dizaine d’années. ©Baptiste Candas
“La proximité avec la Cité de l’Ill n’est pas dissuasive”
Au fond de la rue Hechner, deux bâtisses se distinguent, l’une orange, l’autre jaune, reliées par un même jardin. Elles appartiennent à André Mauchoffé, qui a racheté le terrain d'une ancienne ferme en 1977. Le grand-père a eu la surprise il y a quelques années d'un “regroupement familial imprévu”, quand ses deux fils sont revenus au domaine parental. “Je réside dans l'ancien habitat de la ferme, et il y a moins de dix ans, mon fils a transformé la grange.” Une troisième maisonnette “entretenue pour éventuellement la louer”, a fini entre les mains de son second fils. Un mélange s’opère à travers les opérations de rachat des propriétés de sa rue: “Petit à petit, des nouveaux viennent, investissent et agrandissent. Beaucoup de gens vendent par succession, d’autres décèdent.” Logé à la frontière même entre quartier résidentiel et cité HLM, André lutte contre les stéréotypes: “La proximité avec la cité de l'Ill n'est pas dissuasive. C'est une ânerie monstrueuse de vouloir dire que ces bâtiments ne se trouvent pas dans la Robertsau.”
Baptiste Candas et Quentin Celet