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Pendant plus de vingt ans, Maurice Frères était le seul magasin spécialisé dans l'audition à la Robertsau avant d'être rejoint par Sonance Audition et Audistra. Depuis la réforme du 100% santé, davantage de patients profitent de ces enseignes de proximité.

Un premier coup de fil, puis un deuxième dans la foulée. Quand Sara Jung se retrouve seule au magasin, les journées deviennent vite un marathon rythmé par “une dizaine de rendez-vous, sans compter le passage imprévu de clients pour l’achat d’accessoires”. Depuis le mois de janvier, “ça ne désemplit pas, on voit toujours de nouveaux visages”, confie l’audioprothésiste de Maurice Frères Audition qui réalise, avec sa collègue, deux à trois devis par semaine. Une hausse de la fréquentation de 30% qui s’observe également chez Sonance Audition et Audistra, les deux autres enseignes de la Robertsau. De l’avis général, ce bond se justifie par des projets d’appareillage repoussés à cause du Covid-19 mais aussi par le port du masque qui empêche la lecture labiale. 

Surtout, depuis le 1er janvier 2021, la réforme du “100% santé” est en vigueur. Elle rend accessible une gamme d’aides auditives sans reste à charge pour les patients. “Ça a été un soulagement, j’attendais cette mesure depuis longtemps”, souffle Bouazzaoui Dahbi, 71 ans, habitant à la Cité de l’Ill. Cet ancien artisan plâtrier souffre depuis dix ans d’une lésion à l’oreille interne après avoir écumé les chantiers alsaciens sans protections auditives. Avant la réforme, il aurait dû payer 1 900 euros. Trop onéreux au vu de sa retraite de 900 euros. Dans le brouhaha du café Tivoli, au centre de la Robertsau, les cris des parieurs devant les courses de chevaux se mêlent à la voix du commentateur. Bouazzaoui Dahbi grimace de douleur puis retire ses appareils. “Au niveau de l’audition, c’est toujours pas ça”, soupire-t-il. Depuis plusieurs semaines, il teste un appareillage d’entrée de gamme chez Sonance. 

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Dans son magasin, route de La Wantzenau, Déborah Jakubowicz veut accueillir des patients des quatre coins de la Robertsau. ©Jules Beaucamp

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Bouazzaoui Dahbi va faire jouer la concurrence locale pour trouver l’appareil qui lui convient. ©Jules Beaucamp

 

Son profil correspond à celui recherché par Déborah Jakubowicz, la gérante. Elle a installé sa boutique route de La Wantzenau, “au carrefour avec la Cité de l’Ill pour attirer une autre population de la Robertsau”. Dans le quartier, les patients n’hésitent pas à consulter plusieurs audioprothésistes. “Les gens vont faire un devis là, un devis ailleurs. Un petit peu comme pour les opérateurs téléphoniques”, explique Manuela Barbaras, du centre Maurice Frères Audition. 

Avant l’arrivée des deux autres magasins, il fallait souvent patienter un mois. Depuis, l’attente a été divisée par deux.  “Il y avait tellement de demandes. En étant seul, on n’aurait jamais pu les absorber”, concède-t-elle. Déçu par son matériel, Bouazzaoui Dahbi entend faire jouer la concurrence. 

Une patientèle de quartier

“Les patients ont moins l’habitude de prendre rendez-vous pour des petites choses. Ils se disent que comme c’est à côté, autant aller voir directement”, explique Sara Jung. Pour Rosalba Balsano, 58 ans, il suffit de traverser la rue entre le collège Jules-Hoffmann où elle est professeur de lettres et Maurice Frères Audition afin de régler ses appareils auditifs. “Cette proximité est un atout indéniable pendant la période d’essai, lorsqu’il faut se rendre chaque semaine chez l’audioprothésiste pour procéder aux réglages”. 

À la sortie d’Audistra, situé à cinq minutes à pied de chez elle, Marguerite, 86 ans, est soulagée : “Avant j’allais quartier de la Bourse et j’étais obligée de prendre la voiture. C’était beaucoup moins pratique.” Cette patientèle de quartier vient rarement de plus loin que de La Wantzenau. “Trois quarts des personnes qui poussent la porte de Maurice Frères Audition habitent la Robertsau”, affirme Sara Jung.

Un couple, l’air enjoué, s’apprête à sortir de chez Sonance. Il évoque avec la gérante le film On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé, sorti en salle le mercredi 17 novembre dernier. L’histoire d’un quinquagénaire qui doit se résoudre à porter des appareils auditifs. “Il faut le voir ! Vous verrez, vous allez avoir plus de clients après”.

Jules Beaucamp et Julien Rossignol

“Je voulais m’installer rue Boecklin”

Depuis 1976, le 81, rue Boecklin abritait la bijouterie de Claude Kamper. Le commerçant, parti à la retraite, a cédé le fonds à l’audioprothésiste Lucien Guedj début 2021. “Il y a trois ans, je voulais déjà ouvrir ici. Il y avait juste Maurice Frères Audition à ce moment-là”, précise le praticien de 29 ans, déjà implanté rue du Faubourg-de-Pierre. Dès 2018, il contacte Claude Kamper, alors vice-président de l’association des commerçants du quartier, pour connaître les locaux disponibles. Le bijoutier lui suggère le 109, route de La Wantzenau, actuel magasin de Sonance Audition. L’audioprothésiste visite les lieux mais ne donne pas suite. “Je voulais m’installer rue Boecklin car c’est l’emplacement central de la Robertsau. On reste un commerce, on a besoin d’avoir une vitrine. C’est la proximité, les gens nous disent qu’ils vont acheter leurs bouquets de fleurs, leur bouteille de vin après être passés chez nous”, explique le néo-Robertsauvien. 

Une présence quotidienne

Avant d’entamer sa carrière d’audioprothésiste indépendant en 2018, Lucien Guedj a travaillé pendant deux ans dans un centre de correction auditive à Vendenheim. “Je recevais beaucoup de patients avec des ordonnances rédigées par des ORL de la Robertsau”, se souvient-il. Aujourd’hui, “90% de ceux qui franchissent la porte du magasin viennent du quartier. La plupart allaient auparavant dans le centre-ville et à l'Esplanade pour s’équiper et entretenir le matériel. On répond à un réel besoin de la population”. 

La répartition des audioprothésistes à la Robertsau

©Jules Beaucamp et Julien Rossignol 

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Lucien Guedj, gérant de Audistra, a mis trois années pour trouver le local qui lui convenait, rue Boecklin. ©Julien Rossignol

La réforme du “100% santé”

Après les lunettes et les prothèses dentaires, certains appareils auditifs sont accessibles sans reste à charge depuis le 1er janvier 2021. Une aide bienvenue lorsqu’on sait qu’il fallait débourser, en moyenne, 1 500 euros par oreille, dont 850 euros à la charge du patient. Près de six millions de Français souffrent de difficultés d’audition, selon l’Insee. Parmi eux, environ la moitié est susceptible d’être appareillée, mais seulement 35% le sont. 

Appareils de classe 1: ce sont les appareils d’entrée de gamme que doivent désormais proposer les audioprothésistes dans le devis. Il s’agit d’une offre sans reste à charge. Les fabricants ne peuvent vendre les prothèses plus de 950 euros par oreille. L’assurance maladie rembourse 240 euros par appareil et les organismes complémentaires assument la différence de 710 euros au maximum. Au 1er janvier 2022, ce prix diminuera de 50 euros. La prise en charge est limitée à deux oreilles appareillées tous les quatre ans. 

Appareils de classe 2: les audioprothésistes proposent aussi des appareils plus développés, avec des options telles que les batteries rechargeables ou le Bluetooth. Ces prothèses sont vendues à des tarifs libres pouvant atteindre jusqu’à 2 000 euros par oreille. L’assurance maladie rembourse 240 euros par appareil et les organismes complémentaires peuvent prendre en charge selon le contrat des adhérents.

Jules Beaucamp et Julien Rossignol

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