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Le rêve de tout musicien est de monter sur scène. Si le chemin est semé d’embûches, un collectif de musique électronique et une web-radio les conseillent sur la façon de se produire.

Vendredi 31 janvier, un peu avant minuit, le sous-sol du bar Le Fat à Strasbourg est comble. Ce soir-là, le collectif de musique électro La Finca est invité par un autre DJ, Winston Smith, à se produire avec lui. Aux platines, Seylan co-fondateur de la Finca, enchaine des titres disco et world music. Aujourd’hui, il estime son association bien installée, mais il n’en a pas toujours été ainsi: “Au début, on n’avait pas de salle, alors on l’a créée dans notre appartement. On a appelé ça les ‘Sunday Cathé’, vu que notre logement donne sur la cathédrale.” Comme tout artiste qui veut se produire sur scène, la Finca a eu du mal à se faire une place. Mais Seylan a sa recette: “Du culot, un peu de chance et le réseau. Mais surtout du culot: inviter 60 personnes que tu connais pas chez toi, faut oser. Mais c’est ça qui nous a fait connaitre.”

Pour faire son trou dans le réseau des artistes et des salles de concert à Strasbourg, Seylan a pu s’aider de la web-radio ODC Live. Luc Leroy y assure la programmation artistique et l’organisation de concerts. "Infiltrer le réseau, c’est galère”, confirme-t-il. Luc Leroy propose aux jeunes artistes de venir se produire à l’antenne et de diffuser leur passage sur les réseaux sociaux de la radio.

ODC offre ainsi “40 heures de live par semaine, entre trois et six DJ par jour qui se rencontrent et parlent entre eux”. Leur studio d’enregistrement à l’hôtel Graffalgar est un “repaire à DJ, où à n’importe quelle heure de la journée tu peux croiser un artiste”. Un moyen infaillible, selon lui, pour entrer en contact avec la scène de musique électronique .

Se faire un nom

Accéder à une estrade dans un bar ou aux platines d’une boite de nuit reste difficile. Le nombre de lieux est limité tandis que celui des artistes augmente. Selon Seylan et Luc Leroy, la sélection se fait sur la crédibilité des artistes.

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Luc Leroy, 21 ans, est étudiant en licence d'économie à l'université de Strasbourg. Il a commencé avec ODC Live dès ses 17 ans. © DR

La méthode pour y parvenir est toutefois un peu différente: “La Finca c’est une structure apparue de nulle part. En tant que radio, en termes d’organisation, on a tout de suite eu une légitimé importante. Eux, ils ont dû l’acquérir par l’organisation de soirées”, explique le programmateur d'ODC Live.

Seylan raconte que c’est l’enchaînement de soirées réussies qui lui a permis de se faire un nom au niveau local: “En un an et demi, on a fait 85% d’événements qui ont très bien marché. Si je vais voir le patron de l’Espace K ou de l’Espace Django en disant : ‘J’ai fait 2 000 euros de bénéfice à ma dernière soirée’, ça rajoute de la légitimité, ça montre qu’on est pro ”. L’argument financier peut être décisif lorsque l’artiste s’adresse à un patron de bar dont l’objectif est de vendre à boire le temps d’un concert. Il faut donc leur démontrer une capacité à attirer du public. D’autre part, poursuit-il, “l’argent permet d’investir dans du matériel de qualité ou de mettre 400 euros pour louer une salle. Si la soirée marche pas, t’as juste perdu la somme. Un collectif qui n’a pas d’argent ne peut pas prendre ce genre de risque”.

Côté radio la situation est différente: “Nous on finit nos soirées sans faire une thune”, indique Luc Leroy. L’argent provient des sponsors avec lesquels ODC Live travaille.

Pour les plus persévérants, l’étape suivante consiste à devenir professionnels, une perspective que n’envisagent pas encore la Finca et ODC Live.

Devenir professionnel

C’est en revanche le domaine de Pierre Chaput, directeur de l’Espace Django au Neuhof. Pour lui, la scène amateur est primordiale: “Elle est foisonnante à Strasbourg. Il y a plein de portes d’entrée pour les artistes du coin”. Il insiste sur la nécessité de travailler son projet: “Il ne suffit pas d’être talentueux pour créer les conditions d’écoute et de monétisation de son art. Il faut être entrepreneur de ce talent, s’organiser, pour savoir quel est son écosystème musical, connaître les acteurs de la chaîne locale”. L’Espace Django sélectionne ainsi trois projets musicaux tous les deux ans afin de les faire entrer dans “une pépinière musicale: on accompagne ces trois projets sur la partie artistique, scénique et entrepreneuriale, stratégique. Cela se passe sous la forme de résidences, de mises en contact et de formations. C’est un accompagnement total". Les artistes sont rémunérés durant ces deux années et ont accès à un réseau non plus uniquement local mais national. La promotion 2018-2020 vient tout juste de s’achever et a permis de faire éclore trois groupes: Amor Blitz (pop rock), Difracto (électro) et La Bergerie (hip hop). Les candidatures pour la promotion 2020-2022 sont ouvertes.

La relation entre des salles bénéficiant d'aides publiques comme l’Espace Django et le tissu associatif est étroite. A ce sujet Pierre Chaput regrette: “Les cafés-concerts sont assez moribonds, c'est dommage, c'est le premier maillon de la chaine, il n’y a plus que le Local qui fait encore un peu des choses. Ça freine la diffusion des artistes locaux”. Un avis que partage Luc Leroy d’ODC Live pour qui les structures institutionnelles ne voient pas forcément “ce qui se passe sous le radar. Du coup, c’est un peu notre rôle d’aller voir ce qui s'y fait et de le proposer ensuite. On a un rôle de passeur.” Quant à Seylan, il estime que la Finca n'a pas nécessairement sa place dans ce type de salles : “C’est pas forcément la meilleure formule pour du clubbing. On préfère les lieux atypiques, les lieux qui pètent, qui impressionnent.” Justement les plus durs à trouver.

Guillaume Carlin  

 

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