Vous êtes ici

Tippanna Bandhare, journalier de 65 ans, tout juste arrivé à Pune en provenance du Marathwada, vient d'être embauché comme serveur dans un restaurant, pour 100 roupies par jour. Il espère décrocher un travail mieux payé. © Amol Gokhale/Cuej

La famille Chavan attend le bus à Pune pour rentrer dans dans sa ferme de Jalna. Il n'ont pas trouvé de travail en ville et espèrent que chez eux, la mousson sera bonne. © Amol Gokhale/Cuej

Dans le district de Beed, 300 familles vivent dans ce camp de regroupement de bétail de Warwati, l'un des 75 subventionnés par l'Etat. La priorité est de sauver les bêtes, principal outil de travail et première source de revenus.

© Baptiste Cogitore/Cuej

Seuls ou en famille, ils ont quitté leurs terres asséchées. Depuis janvier, 400 000 personnes seraient arrivées à Pune, deuxième ville du Maharashtra.

Les bus colorés défilent dans un vacarme assourdissant, saccadé par les coups de sifflets des contrôleurs. ll est 17h au terminal de Shivajinagar, gare routière de Pune où débarquent les voyageurs en provenance du Marathwada, région dévastée par la sécheresse qui frappe le Maharashtra.

Une main d’œuvre à prix imbattable

« Ils sont de plus en plus nombreux », assure Ranesh D. Sawant, responsable de la station de bus de Swargate. Il voit régulièrement arriver des familles originaires d’Aurangabad, Beed, Jalna, Latur, Nanded, Parbhani, Usmanabad, districts touchés par le manque d’eau. « La sécheresse actuelle est plus dure que celle de 1972, assure l’avocat Bastu Rege, responsable de Santulan, une organisation de travailleurs sociaux qui aide les migrants  en difficulté. La vague des migrants récents vient s’ajouter aux migrants d’alors, toujours entassés dans les taudis depuis 40 ans. Il n’y a plus de place pour les accueillir. » Il estime à près de 400 000 ceux qui sont arrivés à Pune cette année. Un chiffre impossible à vérifier car les migrants ne sont pas enregistrés par la municipalité.

Sans structure d’accueil, les plus nombreux vivent dans la rue. Les chanceux deviennent domestiques ou journaliers dans la construction, affectés aux chantiers de peinture, de drainage, de charpenterie. Pour trouver ces emplois, ils se massent tous les matins à l’aube sur les « marchés au travail » où les camions d’entreprise viennent ramasser une main d’œuvre à un prix imbattable.

Le pont de Dandekar est l’un de ces points d’embauche. Rahul Sonawane, président local du Bhartiya Majdur Sangha, un des plus grands syndicats indiens, affirme qu’ils sont entre 400 et 500 à s’y rassembler chaque matin, soit 100 à 200 de plus qu’en temps normal. « Mais avec la mousson qui arrive, de plus en plus restent sur le carreau car on entre dans la période creuse pour le travail », explique-t-il.

En plus de son rôle de médiateur entre travailleurs et employeurs, Rahul Sonawane gère ici un abri qui accueille entre 40 et 50 migrants par nuit. Deux murs coiffés d’une tôle. Ce soir, à 21h30, ils sont une dizaine, venus de Jalna, Satara et Solapur, à partager un canapé éventré et deux chaises posés sur la dalle de béton qui leur servira tout à l’heure de sommier. A la lueur d’une ampoule, ils évoquent ces deux hommes arrivés la veille, à moitié morts de soif après trois jours de voyage et émerveillés par l’abondance en eau de la ville. Demain matin, comme tous les jours, ils chercheront à se faire embaucher à quelques mètres d’ici. Seule la moitié d’entre eux auront la chance de recevoir un salaire pour la journée. Les autres se débrouilleront pour vendre des ballons, louer leurs bras à la pièce, ou devront se résoudre à ne pas manger.

Lisa Agostini, Jessica Trochet

[ Plein écran ]

Les camions-citernes peuvent contenir jusqu'à 20 000 litres. Ici, à Jalna, un camion réapprovisionne une cuve d'immeuble. © Rémy Dodet/Cuej

La pénurie fait l'affaire de compagnies privées, qui fournissent les paysans du Maharashtra par camions-citernes.

Sur les routes défoncées du district de Jalna, le ballet des citernes est incessant. Tirés par de gros camions ou de petits auto-rickshaws, ces réservoirs d’eau montés sur essieu maintiennent sous perfusion 7 500 kilomètres carrés de terre altérée. Ils multiplient chaque jour les va-et-vient entre points d’eau et villes, villages ou entreprises et exploitations.

Un marché prometteur

Dans une des zones industrielles de Jalna, un alignement de panneaux affiche la spécialité de petits ateliers : fabricants de citernes. En construire une de 10 000 litres coûte près de 30 000 roupies. Elle sera vendue le double. Ces ateliers se comptaient sur les deux mains l’an dernier. En 2013, Amit Kulkarni, journaliste local au Daily Pallavrang affirme en avoir dénombré près de 100. Ils tournaient encore à plein régime mi-avril. Mais à l’approche de la mousson, la demande a chuté, et une atmosphère de désoeuvrement annonce la fin de saison. Elle aura été bonne. Prasad Tanpure, ancien député du Maharashtra, estime que la barre des 50 000 tankers construits a sans doute été franchie cette année, soit un profit de 2 milliards de roupies,  réalisé sur les acheteurs publics et privés.

Incapable de satisfaire au droit d’accès à l’eau potable que la loi reconnaît aux quelque 1,6 million d’habitants éparpillés dans ce district rural, l’administration a concédé cette mission à deux compagnies privées, en partageant équitablement le territoire. Leurs quelque 600 camions-citernes font chacun deux à trois trajets par jour. Il faut parfois 160 km pour un aller-retour. Certains villages éloignés ne les voient qu’une fois par semaine. L’Etat, par l’intermédiaire du préfet de district, leur verse 135 roupies pour 1000 litres livrés. L’eau est mise gracieusement à disposition dans des réservoirs publics souvent creusés dans le sol d’immenses lacs artificiels desséchés.

Business as usual

S’il répond ainsi aux besoins essentiels, le service public est loin de satisfaire la demande inextinguible suscitée par la canicule, qui a éveillée la vocation d’une armée de petits entrepreneurs opportunistes. En réalité, c’est le secteur privé qui permet à la population du district de Jalna de boire -presque- à sa soif. Mais pas à moindre coût. Les marchands d’eau négocient les tarifs au téléphone. Et c’est surtout la distance avec le puits le plus proche qui détermine la facture. Si le prix moyen pour 1 000 litres oscille entre 250 et 350 roupies, des villageois du sud du district disent acheter la même quantité plus de 600 roupies.

Ramanlal Nand est dans la partie depuis 2003. Entre janvier et mi-juin, il approvisionne chaque jour une cinquantaine de familles à Jalna. Pour augmenter sa marge, il a investi, en 2007, dans le creusement d’un puits au pied de sa maison, en contractant 1 million de roupies d’emprunt auprès d’une banque et de prêteurs privés. Le jeu, dit-il, en vaut la chandelle. Grâce à la forte demande cette année, il a presque doublé son chiffre d’affaires. Revers de la médaille, son puits est maintenant presque à sec et il ne peut plus honorer ses commandes. Seule une bonne mousson lui permettra de relancer son business l’année prochaine.

Maxime Coltier, Rémy Dodet

D'après les estimations, une arme est posée ou enfermée quelque part dans un foyer sur deux. En Suisse, tout le monde a déjà touché une arme, ou presque. Rencontre.

« Avoir une arme à moi en plus ne m'a pas gêné »

Jérôme Sonney, 23 ans, représentant commercial (Pauline Hofmann/Cuej)

Le fusil d'assaut est calé dans un coin de la chambre d'amis chez Jérôme Sonney. « Avant d'aller à l'armée, j'avais déjà l'habitude d'avoir des armes à la maison. D'avoir une arme à moi en plus ne m'a pas gêné », explique le jeune garçon au visage encore un peu enfantin. Généralement, il garde son SIG-550 chez ses parents, qui possèdent un coffre-fort dédié aux armes. L'allure soignée, son fusil dans les mains, il est catégorique : il ne rachètera pas son fusil à l'armée à la fin de son service. Et pour cause, il a déjà accès à d'autres armes et ne voit pas l'intérêt d'en acquérir une supplémentaire.

Peu de recul

Son père possède une quinzaine de pistolets de collection, encore en état de marche. Jérôme, fils de passionné, s'initie au tir à l'âge de 14 ans en commençant par le pistolet à air comprimé. Jusqu'à l'âge adulte, il pratique régulièrement le tir à balles réelles. Il admet, l'air un peu désolé, avoir au jour le jour peu de recul sur la dangerosité de ces armes. Plus jeune, il emportait plusieurs armes dans le coffre de sa voiture jusqu'au stand de tir sans états d'âme. Aujourd'hui, transporter un fusil d'assaut d'un mètre de long de chez ses parents à son appartement ne le fait pas bien plus ciller.

« La sensation de tenir pour la première un pistolet dans les mains est très étrange. Ce n'est pas exactement une sensation de puissance, mais savoir que l'on tient dans les mains un objet qui peut tuer est assez indescriptible », tente-t-il d'expliquer, concentré sur les mots qu'il choisit.

Comme l'armée le prévoit, Jérôme n'a pas de munitions pour son fusil chez lui. « Mais il est très facile d'en trouver, si on en veut vraiment. » Un peu trop facile, selon lui.

Depuis 2010, les jeunes recrues passent un entretien psychologique (en allemand, ici pour une version française moins complète) au début de leur formation. Une nouveauté et une conséquence directe d'un drame. En 2007, un soldat avait abattu une jeune femme de 17 ans, en pleine rue. Jérôme, lui, voudrait que l'armée suisse évalue mieux les profils psychologiques de ses soldats à qui elle confie une arme, au-delà d'un simple entretien.

« Je n'ai pas d'arme, surtout pas ! »

 

Georges Tafelmacher, antimilitariste, 67 ans (Pauline Hofmann/Cuej)

Au bord du lac Léman, Georges Tafelmacher, restaurateur de meubles, met les choses au clair : non, il ne possède pas d'armes et n'en possèdera jamais. À une petite exception près pour cet amateur de beaux objets : un pistolet du siècle dernier inutilisable, accroché au mur, et dont il admire les formes esthétiques, admet-il avec un sourire.

Lorsque, comme tous les jeunes Suisses, il a dû utiliser une arme pour la première fois, lors de son service militaire, il s'est dit « horrifié. » À l'époque, il est quasiment impossible de passer au travers des mailles du filet de l'armée. Il aurait voulu « faire son service sans armes. » D'ailleurs, le militant a tout fait pour se débarrasser de son fusil de service.

Lorsqu'enfin, il peut rendre son arme, il ramène à l'arsenal « un machin immonde. » Avec une satisfaction certaine, il entre dans les détails : « Les militaires de l'arsenal étaient choqués, ils n'avaient jamais vu ça. » Il raconte également le jour où il a désarmé un homme qui le menaçait en lui parlant, simplement. C'était aux États-Unis et celui qui pointait son arme sur Georges Tafelmacher désespérait de trouver un travail, sa femme venait de le quitter. « Beaucoup de gens à qui je raconte cette histoire ne me croient pas. Mais cela s'est vraiment passé ainsi. »

Éviter le sujet

Aujourd'hui, à 67 ans, Georges Tafelmacher milite au Groupe pour une Suisse sans armée à l'origine de plusieurs référendums d'initiative populaire pour restreindre le droit de posséder une arme. Il décrit avec dégoût et emphase la fascination enfantine et les instincts primaires qui lient ses concitoyens à leurs armes. Avec son beau-frère, heureux possesseur d'un petit arsenal à domicile, il préfère éviter ce sujet.

Les cheveux blancs en bataille, il explique comment il passe pour un anarchiste d'extrême-gauche dans son pays, où les armes marquent en pointillé la vie politique.

Pauline Hofmann

Pages