Une langue inconnue et des péripéties confuses
Enfin, je n’étais pas sûre de tout comprendre à l’intrigue. J’avais rapidement parcouru la présentation en achetant le billet il y a quelques mois, mais je ne m’en souvenais pas. Et elle n’était pas vraiment limpide. Le livret, c’est-à-dire le scénario, raconte deux épisodes mythologiques dans lesquels apparaît le cyclope Polyphème : l’aventure d’Ulysse qui lui échappe en lui crevant l’œil et la vengeance du monstre contre les amants Acis et Galatée.
J’avais en tête les pièces de théâtre de Racine, qui s’inspirent de la mythologie, et dans lesquelles les diverses péripéties sont toujours imbriquées et difficiles à démêler. Je pensais aussi à certains ballets, qui certes, se terminent toujours par le mariage des deux amants, mais réunissent souvent beaucoup de personnages, et des triangles voire des quatuors amoureux improbables. En chanson, et en italien, ça allait donc être compliqué.
Spoiler alert, je me suis trompée. Même fatiguée, en clignant des yeux pour bien voir parce que j’avais oublié mes lunettes, et en 3ème galerie – avant-dernier étage – c’est passé vite. Je me suis laissée bercer par la musique et les voix, notamment par la lamentation de Galatée au moment de la mort de son amant. A ce moment-là, aucune envie de rire, j’étais scotchée. J’ai quand même un peu pensé à la Castafiore.
Ennui et fou-rire devant trois heures de Castafiore
Ça ne me faisait pas si peur que ça, l’opéra : regarder des artistes enchanter la scène dans un lieu sublime. Mais en tant que non-initiée, j’avais tout de même quelques craintes. J’appréhendais l’ennui. L’ennui de regarder des gens chanter, sans qu’ils ne jouent ou ne dansent. Déjà que parfois, le temps est long quand je vais voir un ballet. Et pourtant j’adore ça. Alors juste de la musique, et des voix haut perchées pendant trois heures, vraiment ? Ma référence de l’opéra, c’est la Castafiore dans Tintin : pas très flatteur. L’envie de pouffer me prend chaque fois que j’entends un air qui pourrait ressembler au fameux « Ah ! Que je ris de me voir si belle en ce miroir ». Et me voilà qui imite la plantureuse blonde, dans un éclat de rire. Là, il fallait éviter de s’esclaffer.
Et être sérieuse, parce que les gens le sont à l’opéra. Et d’ailleurs, j’imaginais que la mise en scène le serait aussi. Des costumes à froufrous et des histoires poussiéreuses. Après tout, Polifemo est un opéra baroque, qui date de la grande époque des opera seria, dont les histoires sont souvent tirées de la mythologie et dont la structure est très codifiée. Nicola Porpora, mal connu du grand public aujourd’hui, était pourtant le rival de Haendel. Dans Polifemo, joué pour la première fois en 1735 à Londres, il a voulu rivaliser avec son concurrent, en créant des rôles pour de grands artistes, notamment les castrats Sensino et Farinelli. Un castrat, c’est un chanteur qui a subi une castration avant sa puberté, de sorte qu’il a conservé une voix aiguë enfantine tout en ayant la capacité thoracique d’un adulte. Technique, tout ça.
Pour m’initier à l’opéra, je pensais commencer par Mozart ou Bizet. Des classiques, comme La Flûte enchantée ou Carmen, dont je connais les musiques et les airs. Mais je ne les ai pas trouvés cette saison à la programmation de l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg. Alors je me suis rabattue sur Polifemo, de Nicola Porpora. J’ai tenté ma chance, pris le risque. Et le pari est réussi.
Polifemo du compositeur Nicola Porpora est présenté à l'Opéra national du Rhin de Strasbourg. Une vraie découverte de l'univers de l'opéra pour moi, qui m’a presque laissée baba.