04 février 2016
Le président d’Estonie, Toomas Hendrik Ilves, était l’invité d’honneur du Parlement européen pour une allocution solennelle le mardi 2 février. Il a interpellé les députés sur le drame les migrants dans un discours très politique et nourri de références personnelles.
Nœud papillon violet fièrement arboré, le Président estonien s’est approché du pupitre réservé aux invités de marque et a commencé par s’excuser pour sa voix « légèrement enrhumée ». Une prévention pas vraiment nécessaire tant l’allocution rythmée de Toomas Ilves de 23 minutes ne manquait pas de souffle, mardi 2 février au Parlement européen.
Un discours offensif dans lequel il a appelé l’Europe à accueillir les deux millions de réfugiés qui doivent rejoindre le continent d’ici deux ans, en réclamant « une politique d’asile commune et un partage du fardeau ». Il a dressé un tableau sans concession des nombreuses crises qui secouent les 28 - migratoire, terroriste, économique, monétaire - avant de rappeler que le continent « avait vu bien pire » au sortir de la Seconde guerre mondiale, avec notamment « 12 millions de réfugiés internes en Allemagne en 1945 ».
Il a en profité pour dénoncer « le durcissement du langage politique alimenté par la montée des populismes », s'attirant ainsi une première vague de huées à l’extrême-droite de l’hémicycle.
« Je suis un enfant de réfugiés »
Toomas Ilves, 62 ans, a plusieurs fois fait référence à son parcours emblématique de toute une génération dans son pays après 1945. « Je suis un enfant de réfugiés ayant fui l’Estonie pendant la Seconde guerre mondiale, a-t-il affirmé. Je forme le vœu que dans quelques décennies le président d’une Syrie démocratique prendra ici la parole en arabe avec un accent allemand. »
Toomas Hendrik Ilves a vu le jour en 1953 en Suède, 9 ans après que ses parents ont fui une Estonie reprise en main par l'Armée rouge. Puis la famille a de nouveau émigré aux Etats-Unis, où le jeune Toomas a reçu une éducation américaine classique dans le New Jersey avant d'étudier la psychologie dans les prestigieuses universités Columbia et de Pennsylvanie.
En 1984, il émigre vers Munich pour travailler à Radio Free Europe, première étape d’un retour vers son pays d'origine. A la chute de l’URSS, il s’installe en effet à Tallinn pour la première fois de sa vie et rejoint le corps diplomatique de l'Estonie nouvellement indépendant. Ambassadeur, ministre des Affaires étrangères, député européen dès 2004, l’ascension est fulgurante. En 2006, il est élu président par le Riigikogu, le Parlement estonien, avant d’être reconduit pour un second mandat en 2011.
Le président estonien Toomas Hendrik Ilves a été accueilli par Martin Schulz le 2 février 2016 au Parlement européen de Strasbourg. @RobinDroulez / CUEJ
Indrek Tarand (Verts), l’un des six eurodéputés issus de cet Etat de 1,3 million d’habitants, reconnaît les bonnes initiatives du président estonien pour replacer Tallin sur la carte des chancelleries européennes. « Mais il a fait un deuxième mandat parasité par les affaires personnelles, en rentrant dans un jeu où il alimentait la machine médiatique », indique celui qui fut aussi son rival malheureux lors de la présidentielle de 2011. Une allusion à peine voilée à la vie privée quelque peu mouvementée du président estonien. Le 2 janvier dernier, ce dernier a fait sensation en convolant en troisièmes noces avec Iela, une diplomate lettone de 38 ans.
Toujours est-il que devant le Parlement, le président estonien n'a pas hésité à prononcer un discours très politique, dans un parfait anglais teinté d’un accent américain vestige de son éducation états-unienne. Pourtant, dans son pays, le vrai pouvoir est entre les mains du Premier ministre. Cela ne surprend pas Indrek Tarand: « L’Estonie est un petit pays, on doit se faire remarquer et il est toujours bien que le Président soit audacieux sur la scène internationale. C’est comme le nœud papillon qu’il arbore en permanence, c’est sa marque de fabrique. Et ça permet de ne pas oublier l’Estonie. »
Arnaud Richard