Silence arc-en-ciel

Les couples homosexuels vivraient une idylle toute rose dans un paradis multicolore. Pourtant, les violences sexuelles conjugales seraient, selon certaines études, deux fois plus fréquentes que dans les couples hétérosexuels. 

Bande dessinée de Mr Q, dessinateur, extrait de la BD "Le coupable et la victime"

La violence sexuelle conjugale ? C'est un homme qui agresse, voire viole sa femme. Les couples lesbiens et gays, c'est mignon, doux. À la rigueur, ils se crêpent le chignon. C'est l'amour tendre. Ils élèvent des chiwawas, dansent en boîte sur de l'électro, il y en a un qui fait l'homme et l'autre qui fait la femme... Autant d'images qui fondent le stéréotype des couples homosexuels dans l'imaginaire collectif. Le mythe de l'homo cool, qui ne quitte jamais ses paillettes de la Gay Pride et s'emmitoufle chaque matin dans son drapeau arc-en-ciel.

« Il y a un tabou des violences sexuelles dans les couples homosexuels, la question n'est même pas posée. » La chercheuse et sociologue Vanessa Watremez place le problème et plante le décor. Plus qu'une omerta, un tabou. La violence conjugale dans les couples lesbiens, gays et bisexuels (LGB) est une réalité sous estimée. Selon une étude canadienne, 15 % des gays et lesbiennes et 28 % des bisexuels ont déclaré avoir été victimes de violence conjugale par rapport à 7 % des hétérosexuels. La violence conjugale LGB serait donc, selon cette étude, deux fois plus importante que dans les couples hétérosexuels. Et pourtant : « Bonjour, nous n'avons pas de statistiques nous permettant de recenser les couples homosexuels. En 2015, sur 1249 situations, nous avons dû avoir deux ou trois situations pour couples homosexuels. Il est probable que la violence conjugale ne soit pas encore bien analysée dans ces situations [...] Cordialement. » Voilà la réponse la plus renseignée au cours de l'enquête.

Qui dit tabou dit : sujet pas abordé, question pas posée, enquêtes abandonnées et données inexistantes. De peur de stigmatiser, on ne regarde pas, ne s'intéresse pas. Si ces violences n'existent pas pour la société, il est très difficile pour les victimes de les dénoncer. Être homosexuel et victime de violence conjugale : les organisations telles que SOS homophobie, 08 Victimes ou Inter-LGBT parlent de « double peine ». Alors, quand ces violences ont un caractère sexuel, la « triple peine » n'est pas loin et la sous-déclaration grande gagnante.

Un silence sur fond de préjugés

Ces préjugés, qui paraissent pourtant gay-friendly, sont la cause première de cette sous-déclaration. Ils engendrent un mauvais accueil des victimes : « Très souvent, pour ce qui a trait aux violences sexuelles, l'accueil est assez déplorable. Les policiers sont peu formés, ils vous découragent à porter plainte. Il y a aussi un certain nombre de plaintes qui sont requalifiées : le viol va être, en général, requalifié en agression sexuelle. Des plaintes plus rapidement portées en justice, mais des peines moins lourdes » (pratiques courantes aussi chez les hétéros), explique Hélène Beaucolin.

Vanessa Watremez

Co-auteure de Penser la violence des femmes, 2012, La Découverte. Le chapitre 11 parle de la violence dans les relations lesbiennes.

Gay-friendly

Personnes non hostiles envers les homosexuels.

Hélène Beaucolin

Vice-présidente de La Station, centre de défense strasbourgeois des droits LGBT.

Campagne de prévention sur le consentement dans les relations sexuelles, réalisée par l'université de Bordeaux

Dans les centres d'aide aux victimes, « ils genrent tellement l'entretien que, si la personne n'est pas hétéro, ils passent complètement à côté de ces problématiques là en santé sexuelle, et notamment sur les questions de consentement. Les premières questions vont être du genre “ Avez-vous eu un rapport non protégé où vous pourriez être enceinte ? ” », poursuit-elle. Ce manque de formation des centres d'accueil et des autorités est dénoncé à Montréal dans un clip vidéo.

Ne pas donner d'arguments aux détracteurs

Au-delà du gay-friendly inapproprié, il y a les détracteurs. Cette part de la société qui n'a toujours pas entièrement accepté l'homosexualité. Et si le tabou des violences sexuelles conjugales existe, ces opposants ont aussi leur part de responsabilité. « Il y a énormément de personnes LGBTI qui ne veulent pas prêter le flanc en montrant qu'il y a aussi ces problèmes dans les couples non hétéros… Quand ils ont un problème conjugal, les gens considèrent que c'est leur homosexualité le problème », confirme Hélène Beaucolin. Par ailleurs, depuis les débats autour du mariage pour tous qui « ont été très mal vécus par la communauté », selon Hélène Beaucolin, la peur de donner des arguments à l'illégitimité du couple homosexuel est d'autant plus présente : « On leur a donné le mariage et ils ne sont pas capable de rester ensemble sans s'agresser », ironise-t-elle à titre d'exemple.

Moyens de pression

Souvent, dénoncer une agression sexuelle dans un couple homosexuel implique un coming out pour la victime, qui n'en a pas forcément envie ou qui n'est pas encore prête. Ce coming out peut aussi être un moyen de pression pour le/la partenaire violent(e) : « Si tu me dénonces, j'appelle ton patron et je lui dis que tu es homosexuel(le). » Par ailleurs, quand il y a des enfants dans le couple, la pression est encore plus forte : « Je vais téléphoner à l'institutrice de tes enfants et lui dire que tu es homosexuel(le) et donc un/une mauvais(e) père/mère. »

 Si tu me dénonces, j'appelle ton patron et je lui dis que tu es homosexuel(le) 

La communauté LGBTI est petite. Les gens se connaissent d'une ville à l'autre. Dans ce cas, les pressions sont plus d'ordre affectif, souvent la victime et l'agresseur(euse) partagent les mêmes amis. Il est plus difficile de retrouver un(e) partenaire et des amis (dans le cas ou ceux-ci auraient pris parti). Autant de raisons recensées dans un rapport de Femmes prévoyantes socialistes (FPS), sorti en 2010. Cependant la considération de la communauté LGBTI change et évolue. « Admettons qu'on croit aux licornes, on peut se dire qu'un jour on arrivera à des recherches sur le problème », doute Hélène Beaucolin. Quitte à décevoir les amateurs de licornes, des recherches sur le sujet sont en cours, notamment par l'Institut national d'études démographiques (INED).

LGBTI

Lesbiennes Gays Bisexuels Transgenres Intersexes.

Coming out

Avouer publiquement son homosexualité.