Des criminelles sous-estimées

Non-dits, préjugés et méconnaissance. La criminalité féminine effraie et reste sous-évaluée. Est-il possible de briser le silence ?

Illustration de Clara Griot

« Des femmes qui ont commis des viols ? » La question surprend le fonctionnaire de police à la brigade des mœurs et des mineurs de Mulhouse. « En 13 ans de carrière, je n’en ai jamais rencontré. » Auprès d’avocats, de magistrats ou d’associations d’aide aux victimes, la réponse est la même : les femmes auteures de violences sexuelles sont rares. Mais elles existent.

La force des préjugés

Il y a un chiffre noir autour de la délinquance féminine. Les scientifiques ne se sont intéressés que très tard à cette criminalité. Les premières études débutent dans les années 1970 en Amérique du Nord et dans les années 2000 en France. Mais il est toujours difficile de s’entendre sur les chiffres. Les résultats divergent, passant de 1 à 40 %, pour comptabiliser les abus sexuels perpétrés par les femmes.

Les méthodes peuvent différer : certains chercheurs se concentrent sur les dossiers judiciaires ou pénitenciers, tandis que d’autres s’attachent à recueillir la parole des victimes. Mais le problème majeur reste les silences qui entourent ces phénomènes car les femmes agressent le plus souvent leur enfant, que ce soit un garçon ou une fille.

Si une jeune de 13 ans a des rapports avec un homme de 25 ans on va crier au viol, mais si la situation est inversée, on va minimiser et considérer qu’il s’agit d’initiation sexuelle


« Il y a beaucoup de non-déclarations, résume la psychologue et doctorante Clémentine Trébuchon,  les stéréotypes socio-culturels sont fortement ancrés : les femmes sont des mères nourricières, douces et gentilles. Reconnaître qu’elles puissent agresser sexuellement, pour beaucoup c’est impensable. » À tel point que dans le Dictionnaire des sciences criminelles sur le sujet « Femme et violence », il n’y a rien sur les femmes auteures. « Si une jeune de 13 ans a des rapports avec un homme de 25 ans on va crier au viol, insiste Clémentine Trébuchon, mais si la situation est inversée, on va minimiser et considérer qu’il s’agit d’initiation sexuelle. »

L’évaluation du risque

Repérer les cas d’abus reste très compliqué, d’abord par la définition même du viol qui exige une pénétration forcée. Dans les affaires de viols commis par des femmes, la personne pénétrée est parfois l’auteur. Les victimes, et en particulier les hommes peuvent se sentir honteux d’avoir été abusés par une femme. Il n’est toujours pas communément admis qu’une personne puisse avoir des réactions physiques sans plaisir. Pourtant, de nombreux hommes ont eu une érection et une éjaculation, sans consentement ni jouissance, lors d’un acte sexuel contraint. Des situations que les victimes ont du mal à reconnaître ou à comprendre.

La sous-déclaration s’explique aussi par le cadre intrafamilial de ces agressions. « Dans les fratries, il y a toujours des réticences à porter plainte contre l'agresseur, parce que pour la victime c'est une double peine : celle d'avoir été victime et celle d’avoir ses parents incarcérés, avec le risque de se voir placé dans un foyer de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales), explique la criminologue Michèle Agrapart-Delmas, du coup, si l'enfant est assez grand pour comprendre ce qui va se passer s’il porte plainte, il ne déclarera pas l'agression. » Un silence que l'on retrouve chez tous les enfants victimes d'inceste.

Il n'y a pas de profil type

Les débats sont vifs pour savoir si les femmes ont une criminalité spécifique. Certains chercheurs classent ces auteures dans différentes catégories. On distingue les complices des hommes, les femmes isolées, les mères incestueuses ou encore les institutrices qui font l’initiation sexuelle de leur élève. « Ces typologies ont des failles, précise Clémentine Trébuchon, une même agresseuse peut se retrouver dans plusieurs catégories à la fois. »

Parmi les femmes condamnées pour agressions sexuelles, la plupart viennent de milieux sociaux défavorisés. Mais Cédric Le Bodic, psychologue, met en garde : « Au début des recherches sur la pédophilie, on pensait que l’inceste n’existait que dans les classes populaires. En réalité, les résultats étaient biaisés, car ce sont souvent les travailleurs sociaux qui dévoilent les cas d'incestes. Or ceux-ci vont rarement chez les personnes aisées. Le repérage y est donc plus compliqué. » Le psychologue estime que la situation pourrait être de même pour la pédophilie féminine.

La justice à double tranchant

Le phénomène des agresseuses sexuelles est si peu connu que même la justice peine à être constante. Beaucoup ne sont jugées que comme complices de leur partenaire. « Les criminelles ont tendance à minimiser leur part de responsabilité. Elles expliquent être sous l’emprise d’un homme et avoir commis les faits par obligation », précise Julie Hubert, doctorante en psychologie.

Lors du verdict, l’interdiction d’entrer en contact avec la victime n’est pas non plus toujours prononcée alors qu’elle l'est presque systématique pour les hommes. « En revanche, certaines criminelles sont condamnées plus durement car la justice veut en faire un exemple », rétorque Julie Hubert.

Le nombre de femmes condamnées reste encore faible. En 2015, sur les condamnations pour viols et agressions sexuelles enregistrées par le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, il n’y avait que 70 femmes pour 5 656 hommes.

Viol

Acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Tout acte de pénétration sexuelle est visé : buccale, vaginale, anale, par le sexe, le doigt ou un objet. C’est un crime.

Pédophilie

Attirance sexuelle d’un adulte pour un mineur (majorité sexuelle : 15 ans). L’auteur est appelé pédophile. Selon les critères de l’OMS, les adolescents de 16 à 18 ans sont aussi considérés comme des pédophiles s’ils ont une préférence sexuelle persistante ou prédominante vers des enfants au moins 5 ans plus jeunes qu’eux.

Cédric Le Bodic

Psychologue, ancien chercheur au sein de l’institut de criminologie de Rennes 2.

Clémentine Trébuchon

Psychologue, auteure d'une thèse sur « La criminalité violente chez la femme », soutenue à l’université du Québec à Trois-Rivières.

Julie Hubert

Psychologue, elle écrit actuellement sa thèse sur les violences sexuelles commises par les femmes.

Michèle Agrapart-Delmas

Psychocriminologue, experte près la Cour d'assises de Paris et auteure du livre « Femmes fatales : Les criminelles approchées par un expert », 2009, Max Milo.

Dictionnaire des sciences criminelles

Gérard Lopez et Stamatios Tzitzis, « Dictionnaire des sciences criminelles », 2004, Dalloz.