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“Je suis handicapable”

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Le caporal-chef Benjamin Atgie vit avec la jambe gauche amputée depuis huit ans. Blessé lors d’une opération en Afghanistan, il s’efforce désormais, par la parole et par le sport, de véhiculer une autre image du handicap.

La démarche est sûre et dynamique. Rien ne laisse entrevoir que ce militaire de 31 ans est amputé de la jambe gauche. “Je suis handicapable”, corrige le caporal-chef Benjamin Atgie, en souriant.

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Le caporal-chef Benjamin Atgie a été amputé à la suite d’une mission en Afghanistan. Maxime Arnoult / Cuej

“Je vois mon pied pendre”

Ce fils de légionnaire originaire de Créteil (Val-de-Marne) a perdu sa jambe en Afghanistan, lors de sa troisième opération extérieure après le Liban et Haïti. Une nuit de février 2011, le maître-chien du régiment de Suippes (Marne) rejoint sa base militaire dans la vallée d’Alasaï, après une mission de reconnaissance. La colonne de véhicules blindés dans laquelle il se trouve est attaquée. Une roquette perce son véhicule. “Le mec à côté de moi alerte tout le monde ‘le cyno est blessé’. C’est à ce moment-là que je vois mon pied pendre”, décrit le caporal-chef Atgie. Son collègue chasseur alpin, assis en face de lui, meurt sur le coup. Le premier réflexe du caporal-chef Atgie est de mettre la muselière à son chien pour éviter qu’il n’attaque ses “frères d’armes” qui lui portent les premiers soins. Il se remémore ses dernières pensées juste avant de perdre connaissance : “Soit je me réveille avec une jambe en moins, soit je ne me réveille pas du tout et ma famille va pleurer.”

Se réapproprier un corps amoindri

Après ce qu’il appelle l’ “accident”, Benjamin Atgie passe 48 heures en soins intensifs. Lorsqu’il se réveille, il pense d’abord à Arion, son berger malinois. “Je ne percute pas toute de suite, je me demandais où il était, s’il allait bien.” Rapatrié à l’hôpital militaire de Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), il reste alité pendant trois mois. “J’étais abattu de ne pas pouvoir remarcher”, explique t-il. Tous les deux jours, médecins et chirurgiens ouvrent la plaie, la nettoient, puis la referment.

Sa rééducation commence par une remise en forme après une longue immobilisation. “Il a fallu d’abord me tenir sur mes bras, me remuscler la cuisse qui était amputée”, détaille-t-il. Le premier mois est fastidieux, le soldat doit réapprendre à se lever, à marcher, à monter et descendre des escaliers. Il passe des heures à visionner des vidéos médicales où le pas est décomposé. Un moment difficile : “J’ai appris entre deux barres parallèles, d’un côté je marchais normalement, mais de l’autre je marchais dans le vide.”

Reconquérir son corps par le sport

Au bout de cinq semaines, Benjamin Atgie reçoit sa prothèse, première étape de sa renaissance. “Je pouvais enfin aller chercher un café seul. Rien que cela m’a donné le sourire jusqu’aux oreilles.” La rencontre avec d’autres blessés amputés lui apporte la motivation qu’il cherchait encore : “Ils se tenaient debout, leurs blessures ne se voyaient pas, ils m’ont dit de me bouger, que la vie n’était pas terminée.”

Les douleurs fantômes lui rappellent que son corps a changé. “Je sens mon pied alors qu’il n’est plus là, j’essaye de le toucher”. Il n’abandonne pas l’idée de faire une multitude de sports. Basket, volley-ball, course à pied, natation, il ne se fixe aucune limite. “J’ai dû m’adapter au matériel pour pouvoir faire du sport. Je fais du vélo grâce à une pédale spéciale. Pour la plongée, j’ai une prothèse particulière, pour la course j’ai une lame.” Seul le hockey sur glace lui résiste : “C’est peu développé pour les amputés en France, contrairement à la Norvège par exemple.”

Refaire sa place au régiment

Changer le regard des autres

En 2018, le caporal-chef Atgie participe à trois triathlons. Dans les compétitions handisport, il retrouve une émulation chère à ses yeux. Chacun partage son histoire et compare son matériel avant de se dépasser. Un moyen aussi d’exposer son absence de jambe en public. “Il faut que j’enlève ma prothèse devant tout le monde, que je me mette en maillot de bain”, explique-t-il. Il ne cache pas cette dernière et montre que l’on peut être sportif et handicapé : une forme d’engagement pour faire évoluer les mentalités. “Je suis assez provocateur en me mettant en short. Je veux provoquer le regard”, insiste-t-il. Et lorsque certains détournent les yeux ou interdisent à leurs enfants d’observer sa prothèse, il va à leur rencontre pour entamer un dialogue. Après sa médaille de bronze remportée aux 400 mètres des Invictus Games, une compétition internationale réunissant les blessés de guerre, il s’entraîne désormais pour participer aux Jeux paralympiques.

Texte : Maxime Arnoult

Vidéo : Stacy Petit