Seul le Rhin et quelques 200 mètres séparent les habitants de Kehl de leurs voisins Strasbourgeois. Que pensent les transfrontaliers franco-allemands sur les élections outre Rhin?
La Passerelle des deux rives à travers le Rhin relie Strasbourg avec la ville allemande de Kehl. Crédit: Anna Manceron
Des bureaux de tabac aux affiches promotionnelles jaune fluo et des centres commerciaux en enfilade d'où les voitures sortent le coffre bourré de produits du quotidien. Kehl attire les Strasbourgeois en mal de prix cassés. Chaque jour ils viennent en goguette dans la ville frontalière, pour faire leurs courses. A Kehl, 45% des clients sont français. Ils profitent de la libre circulation au sein de l'espace Schengen, un privilège devenu la norme, mais remis en cause par certains candidats à l'élection présidentielle. Ou plutôt candidate. Marine Le Pen, la présidente du Front National, veut sortir de l’Union européenne et rétablir des contrôles stricts aux frontières.
Fred, grossiste pour débits de tabac, profite pleinement du commerce transfrontalier. Il suit "de loin" la campagne présidentielle française et s'inquiète des répercussions sur son commerce. "En tant que commerçant, ça me dérangerait si Marine Le Pen devenait présidente. En tant que citoyen, ça me gênerait moins", explique ce quinquagénaire à l'allure de fan de métal, une pointe de résignation dans la voix. Avant, il rêvait d’une Europe sans frontières et solidaire. Mais pour l’instant, selon lui, elle n'existe pas. "Il y a encore de grosses différences au niveau des salaires et nous sommes loin d'une fiscalité uniformisée", se plaint-il.
"Mettre les choses en ordre"
Trente mètres plus loin, Cosimo prend sa pause cigarette au soleil devant son café "Villa Venetia". Si ça ne tenait qu'à lui, la cheffe du Front National deviendrait présidente, de préférence tout de suite. "Marine remettra de l'ordre, comme Donald aux Etats-Unis", affirme le soixantenaire. Ce restaurateur italien est favorable à une fermeture de la frontière entre Strasbourg et Kehl. Il y a selon lui trop de migrants qui viennent en France ou en Allemagne pour "profiter des allocations sociales". "Il faut davantage contrôler l'accès au pays. Merkel a laissé rentrer tout le monde en Allemagne", s'emporte Cosimo. Selon lui, une fermeture de la frontière empêcherait des criminels de passer de Strasbourg à Kehl. "C'est la catastrophe ici, il y a déjà pleins de jeunes qui dealent de la drogue."
Cosimo devant son établissement. Crédit: Anna Manceron
La droite populiste en marche?
Si la génération des quinquagénaires et sexagénaires semble avoir perdu toute confiance dans les grands partis populaires, le ras-le-bol est moins présent chez les jeunes franco-allemands de la région. Assis sur un banc de la zone piétonne, un jeune couple profite des premiers rayons de soleil pour déguster une glace. Suivent-ils la vie politique d'outre Rhin ? "Bien sûr", s'exclame Ludovic, étudiant en finance à Strasbourg et stagiaire, un jour par semaine à Kehl.
Pour le jeune homme de 20 ans, une victoire électorale du parti allemand de droite populiste, Alternative für Deutschland (AfD), est moins à craindre que le succès du Front National aux élections présidentielles. "Les Allemands sont plus réticents à voter pour l'extrême-droite, sans doute à cause de leur histoire", explique-t-il. A ses côtés, Djamila, 21 ans est étudiante en traduction à Strasbourg. D’origine allemande, elle vit en France depuis plusieurs années. Comme Ludovic, Djamila ne s’inquiète pas non plus de la poussée populiste en Allemagne. "Peut-être parce que je vis de l'autre côté de la frontière", reconnaît l'étudiante.
Djamila et Ludovic, étudiants à Strasbourg, viennent régulièrement à Kehl. Crédit: Anna Manceron
Un discours creux
Sur le chemin du retour vers Strasbourg, en traversant le Rhin par la passerelle piétonne et le Jardins des deux Rives. Jean-Philippe travaille comme paysagiste pour la ville de Strasbourg. L’alsacien de 59 ans a déjà vécu et travaillé dans plusieurs villes allemandes comme Stuttgart ou Karlsruhe. Du temps où il fumait encore, il allait acheter ses cigarettes à Kehl. Même si Marine Le Pen gagnait les élections, il ne croit pas en une fermeture de la frontière : "C’est un discours qu’elle tient devant ses adhérents. Une fois au pouvoir, elle n’osera pas sortir de l’Union européenne", lâche-t-il plein d'espoir.
Anna Manceron, Benoît Collet