Le syndicat de l’hôtellerie restauration a annoncé vouloir créer un contrat de « CDI mobilités » pour les salariés saisonniers du secteur. À Strasbourg, les avis des acteurs divergent. Ils craignent l’usine à gaz.
Février dans le centre-ville de Strasbourg : l’effervescence du marché de Noël a disparu. Les restaurants semblent tourner au ralenti. «Nous faisons appel à des CDD uniquement pour le marché de Noël, la période estivale, Pâques et les sessions parlementaires», témoigne Jean-Jacques, un gérant de restaurant strasbourgeois. Soumis à une forte saisonnalité de leur activité, la plupart des restaurateurs fonctionnent ainsi : pour les périodes d’affluence, du personnel supplémentaire est embauché pour quelques jours ou quelques semaines.
Le gouvernement veut limiter la prolifération des contrats de moins de deux mois en taxant les employeurs. Pour échapper à cette taxe, le syndicat patronal Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih) propose la création d’un «CDI mobilités» censé, selon eux, sécuriser l’emploi.
Une sorte d’intermittence de la restauration
Les salariés seraient embauchés, sous contrat à durée indéterminée par une plateforme. Une sorte de brigade d’extras, prête à intervenir au pied levé pour remplacer un serveur, un plongeur, un cuisinier ou un agent d’entretien. La plateforme ferait le lien avec les employeurs pour les affecter selon les besoins. Une espèce de contrat d’«intermittent de la restauration» qui permettrait à l’employé d’avoir un salaire stable à l’année. Tout cela sans malus pour l’employeur.
«Imaginez votre mariage, vous faites appel à un traiteur qui va embaucher trois extras. Si à cause d’une taxe un serveur coûte le prix de sept, vous allez payer plus cher votre mariage ou embaucher vous-même des extras au noir», justifie Christophe Weber directeur du Groupement des hôteliers, restaurateurs et débitants de boissons du Bas-Rhin, branche départementale de l’Umih. Si les arguments contre la taxe sont affûtés, l’alternative imaginée par les patrons du secteur reste très floue.
Les détails du projet ne sont pas encore précisés, notamment sur les contraintes qui pourraient être imposées aux salariés pour toucher leurs indemnités/salaires en dehors des périodes de travail. Le financement de la caisse de sécurisation, le fonctionnement concret de la plateforme sont à construire. Le projet s’inscrit dans les discussions entre partenaires sociaux pour réformer l’assurance chômage mais déborde largement de ce cadre et pourrait nécessiter une loi pour sa mise en œuvre.
«L’idée est bonne, mais j’attends de voir ce qu’ils mettent derrière concrètement.» Jean-Jacques reste sur la réserve. Les procédures d’embauche sont de plus en plus lourdes selon lui et un outil plus clair serait bienvenu.
« Une précarisation encore plus forte »
Si le dispositif présente, selon le directeur départemental de l’Umih, une notion d’engagement de la part des restaurateurs pour utiliser ce personnel disponible au fil des événements, certains petits établissements ne pourront pas se le permettre. «Ça marche pour les gros mais moi je n’ai pas besoin d’un salarié en plus et je ne m’engagerai pas à embaucher des extras, je n’ai pas assez de visibilité sur une année», explique Trang Nguyen, propriétaire du Blooming café. Patronne d’un salon de thé ouvert en avril dernier sur le quai des Bateliers, elle pense faire appel à des extras de manière très ponctuelle et pour seulement quelques heures par jour. Elle n’est pas enchantée par le projet : «Cela me paraît trop compliqué comme procédure juste pour un "dépannage "».
«Je vois dans cette plateforme une précarisation encore plus forte», s’agace Michaël, réceptionniste passé par la restauration pendant un an et demi. «Ça me fait penser aux prestataires de service de ménage : ils nous envoient du personnel d’ajustement pendant les périodes d’affluence mais leurs conditions de travail et leur rémunération sont déplorables.» Le syndicat se veut rassurant, ce « CDI mobilités » n’a pas vocation à être une situation durable mais plutôt un tremplin vers un CDI classique.
Juliette Vilrobe