En novembre 2015, ce fan de rock assistait au concert du Bataclan. Il va témoigner à la barre lors de ce procès long de huit mois. Une manière pour lui de tourner la page.
« Six ans après, j’ai encore des blancs sur ce qu’il s’est passé cette nuit-là », raconte Thomas Schneider. Cet ouvrier, également pigiste culturel aux Dernières Nouvelles d’Alsace de Strasbourg et de Haguenau, fait partie des survivants de l’attaque du Bataclan. À la veille de l’ouverture de cette audience historique, l’homme de 30 ans n’est pas anxieux, même s’il appréhende un peu les prochains mois. Il est l’une des 1 765 parties civiles qui témoigneront devant la barre à partir du 28 septembre.
Le rythme de la batterie, le même que celui des kalachnikovs
Ce soir-là, avec sa meilleure amie, ils étaient au premier rang dans la fosse, pour assister au concert de Eagles of Death Metal. Ce passionné de rock se souvient s’être placé à « 10 ou 15 mètres d’une sortie de secours », chose qu’il fait aujourd’hui mécaniquement, comme un instinct de survie. Assis à la terrasse d’un café, Thomas partage les quelques photos et vidéos prises ce soir-là. D’abord une photo de la salle de spectacle, qu’il trouvait particulièrement belle, puis le groupe de rock jouant, synonyme de vie : « Une ambiance de fou ! » La dernière photo, floue, est prise à 21 h 47. L’heure exacte à laquelle les terroristes se sont engouffrés dans le Bataclan. À cet instant, tout s'enchaîne. Alors que résonne la chanson Kiss the devil, Thomas entend comme des bruits de pétards. « Tu vois ce que ça veut dire ? questionne Thomas. Le rythme de la batterie, c’était exactement le même que celui des kalachnikovs. » Il imite les bruits des armes lourdes. Thomas se rappelle de la cohue et d’avoir marché sur des corps sans vie. Les deux meilleurs amis sortent finalement indemnes physiquement du Bataclan. Les heures suivantes, ils les passeront dans un appartement près de la salle de spectacle, jusqu’à quatre heures du matin.
Les concerts comme thérapie
Comment se reconstruire après une telle épreuve ? « Bonne question », répond Thomas en riant. « Pendant six ans, j’étais dans le déni, je faisais beaucoup de cauchemars et j’étais toujours en hypervigilance », précise-t-il. À chaque bruit sourd provoqué par des motos, il se retourne et observe ce qu’il se passe, comme s’il cherchait à savoir d’où viennent ces grondements. Après la phase de déni, il n’arrivait plus à dormir. Alors, il s’est mis à boire pour trouver le sommeil. Il a mis six mois avant d’accepter de consulter une psychologue. Aujourd’hui, Thomas n’a plus besoin d’alcool pour s’endormir.
Après avoir sympathisé avec les membres de Eagles of Death Metal, il a été invité par l’un d'entre eux à Los Angeles. Cette nuit-là ne l'a pas empêché de retourner en concert. Il se dit même encore plus passionné qu’avant par le rock. Trois semaines après avoir vécu l’insoutenable, il foule de nouveau le sol des salles de concerts. « C’était comme une thérapie. Ne plus retourner à un concert, ça aurait été leur donner victoire ! J’ai pas envie de m’arrêter de vivre. » En 2016, il retourne au Bataclan alors qu’il est en travaux. En février de la même année, Eagles of Death Metal s’est produit à l’Olympia devant des victimes et rescapés de l’attentat. Celui qui s’est tatoué un cœur brisé pour se rappeler qu’il a échappé à la mort y était. Une évidence pour le jeune homme.
Un procès pour tourner la page
Mais aujourd’hui, la culpabilité le hante. Il se demande souvent pourquoi il est encore en vie et pas d’autres personnes. Mais Thomas a tout de même hâte de voir de ses propres yeux Salah Abdeslam, « le type s’en tire. Il est dans sa prison et ne se rend pas compte de ce qu’il a fait ». Il espère qu’il parlera, même s’il ne compte pas que sur lui. Le survivant attend également des explications des anciens représentants de l’État, sur le retard qu’aurait pris la BRI (brigade de recherche et d'intervention) à intervenir au Bataclan. Ce procès va clore un chapitre de la vie de ce grand gaillard au crâne rasé. « Depuis six ans, on témoigne qu’auprès des médias, ça n’a aucune valeur juridique », dit-il. En attendant de pouvoir se rendre à la barre, Thomas suivra tous les jours le procès grâce à la webradio mise en place pour les parties civiles qui ne sont pas sur place.
Camille Bluteau