Ni licencié, ni réintégré, le personnel hospitalier non vacciné témoigne d’un sentiment d’abandon depuis son éviction en septembre 2021.
Des soignants non vaccinés suspendus depuis septembre 2021 ont manifesté ce jeudi 15 septembre à Strasbourg. Ils demandent une décision : le licenciement ou la réintégration. Photo Cuej.info / Clémence Blanche
« Je reçois chaque mois une fiche de paie de zéro euro. » Martine (54 ans), est infirmière en psychiatrie. Depuis octobre, elle est suspendue de son service car elle ne possède pas le pass sanitaire. L’Ardéchoise ne peut pas non plus chercher un CDI, ni suivre une formation financée par pôle emploi, car officiellement, elle est toujours salariée d’une clinique.
Le 15 septembre 2021, le gouvernement français prenait la décision de suspendre les soignants non vaccinés. Un an plus tard, ils ne sont pas licenciés, mais n’ont toujours pas pu retrouver leur poste. « On est tellement entre deux eaux que c’est difficile de se projeter, déplore l’infirmière, je ne veux pas démissionner car j’estime n’avoir rien fait de mal et j’aimais ce que je faisais. J’ai toujours l’espoir d’être réintégrée, mais pour l’instant, on ne parle pas de nous. »
Reconversion ou travail en intérim dans l’attente
D’octobre à mars, Martine n’a eu aucun revenu. Vivant sur ses économies, elle a décidé de travailler en intérim dans des usines de plastique et de métal, et de faire des remplacements en tant que surveillante au sein d’établissements scolaires. « Je n'ai jamais réussi à dépasser les 1000 euros par mois jusque-là. Je ne prends pas de mission de plus d’une semaine, au cas où je peux retourner à la clinique. »
Le changement a été encore plus radical pour Malika, 58 ans. L’ancienne aide-soignante a fait une croix sur travail après 30 ans de carrière dans le médical : « J’étais déjà cassée physiquement et mentalement, l’obligation vaccinale a été la goutte de trop. » Avant de se trouver un poste de femme de ménage en périscolaire, la réflexion sur sa reconversion a été douloureuse : « L’aide à la personne, c’est tout ce que je savais faire. J’avais l’impression d’être de retour à 17 ou 18 ans, à me demander ce que j’allais devenir. Heureusement que mon mari gagnait assez bien sa vie, sinon j’aurais fini à la rue. »
« On se sent abandonné »
Peu habituées à s’exprimer sur leur situation, les soignantes interrogées sont débordées par l’émotion : « Je suis bien entourée, mais à chaque fois que je repense à la situation c’est dur », avoue Catherine (55 ans), en sanglots. Manipulatrice en électroradiologie médicale, elle se sent victime d’une « injustice » : « Il n’y a rien à faire, et personne n’a pris notre défense officiellement. On se sent abandonné ». L’Alsacienne avoue que, si elle le pouvait, elle ne retournerait même pas au travail : « Mes collègues n’ont pas pris une seule nouvelle depuis un an. » Malika confirme ce sentiment de rejet : « Toute notre vie on a été bienveillant et maintenant on est considéré comme des pestiférés. »
Handicapée, Catherine tente de relativiser sur son cas personnel, car elle perçoit une pension d’invalidité : « Je m’en suis bien sorti par rapport à des gens qui n’ont plus de salaire et ont perdu leur maison. Mais on a l’impression qu’on n’existe plus, car on est coupé du monde du travail. Maintenant je vis au jour le jour. »
Luc Herincx
Édité par Audrey Senecal