Des pans de montagne de la taille d'une maison qui s'effondrent dans un nuage de poussière. C'est le spectacle dont ont été témoins nombre de randonneurs et d'alpinistes cet été dans le massif du Mont-Blanc. Depuis le début de la saison, au moins 150 écroulements ont été recensés sur les cimes alpines. Un bilan qui dépasse d'ores et déjà le record de l'été caniculaire de 2003.
Certains alpinistes ont pu témoigner du gigantisme de ces décrochages de paroi à travers de vidéos, publiées ensuite sur les réseaux sociaux.
Recrudescence des éboulements dans le massif.Si vous êtes témoin d'un phénomène de ce genre, pensez à renseigner l'application alp-risk
Posted by Christophe Boloyan on jeudi 27 août 2015
La recrudescence de ce phénomène est un effet conséquent du réchauffement climatique. Les hautes températures de l'été ont engendré une fonte des glaces retenant les roches. Le permafrost, sous-sol gelé, joue le rôle de ciment des montagnes, comme l'expique Ludovic Ravanel, chercheur au CNRS : "ll ne faut pas voir les hautes montagnes comme quelque chose d'extrêmement solide. Souvent, c'est simplement un enchevêtrement d'éléments rocheux dont la stabilité est permise par la présence de glace".
70% des écroulements en 20 ans
Depuis 2007, le chercheur a réalisé un travail d'observation à partir d'archives photographiques datant de la fin du XIXe siècle. Le bilan des vingt dernières années est impressionnant. "Sur les 150 dernières années, 70% des écroulements ont eu lieu durant les deux dernières décennies", confie son collègue Philip Deline, géomorphologue à l'université Savoie Mont-Blanc.
Pour le moment, ces décrochages de roche menacent surtout la population qui fréquente les montagnes, les alpinistes et les randonneurs. Le permafrost se situe en haute montagne, au-dessus de 3000 mètres d'altitude. Ainsi, les alpnistes sont les premiers exposés. Durant l'été, l'itinéraire du Mont-Blanc le plus emprunté, a été abandonné par les alpinistes. Le refuge du Goûter, étape très fréquentée pendant l'ascension, a dû être fermé à plusieurs reprises à cause des risques d'effondrement des parois.
Le refuge du Goûter. Le maire de St-Gervais a prononcé à un arêté municipal le 6 août afin de fermer temporairement l'établissement. Photo : D.R
À terme, les vallées pourraient subir les conséquences de la fonte des glaces sous-terraines. Les écroulements pourraient entraîner des chutes de glace, des avalanches ou des coulées de boue, même en automne et en hiver. En effet, l'absorption de la chaleur par le permafrost prend plusieurs mois. Ainsi, la couche de glace la plus profonde devrait être atteinte dans les mois prochains. Les plus gros écroulement de ces dernières années sont d'ailleurs survenus pendant la saison d'hiver. Fin décembre 2011, 3 millions de mètres cube de roche s'étaient détachés du Piz Cengalo en Suisse.
Un des exemples les plus impressionnants est l'éboulement qui s'était produit en 2002 dans le Caucase. L'effondrement d'un glacier avait emporté des tonnes de glace, de pierres et de boue sur plus de 30 kilomètres. Sur le massif du Mont-Blanc, les écroulements ont fait peu de victimes directes. Mais "nous ne sommes pas à l'abri d'un accident", indique Philip Deline. Une catastrophe telle que celle survenue en Russie pourrait atteindre des personnes éloignées du déclenchement de l'effondrement.
"Empêcher la température d'augmenter d'1°C"
Les études scientifiques prouvent clairement que l'augmentation des températures est corélée à la multiplication des écroulements.Pour Philip Deline, ce problème "renvoie à la question de la maîtrise de l'évolution climatique et de la nécessité d'inverser la courbe de prodution de gaz à effet de serre". À quelques mois de la COP21, brandie par les politiques comme la dernière chance d'arriver à un accord mondial sur la maîtrise du réchauffement climatique, le chercheur ne se fait cependant guère d'illusions : "Des conférences ont lieu tous les ans, et l'on ne peut que constater leur inefficacité. J'espère au moins que la société civile se saisira du problème". Selon lui, l'objectif de limitation de hausse de la température à 2°C à la fin du siècle est même insuffisant : "Il faudrait empêcher la température d'augmenter de 1°C. L'augmentation de 2°C aurait déjà des effets catastrophiques sur la montée des océans et au niveau du géosystème terrestre."
Benjamin Hourticq