En deux semaines de procès, témoins et accusés se sont succédés à la barre pour délivrer leur propre version des faits. Entre repenti des uns et provocation des autres, la justice se chargera de démêler le vrai du faux et prononcera son verdict vendredi 14 septembre.
C'est une histoire qui avait suscité une vague d'émotion à travers tout le pays le 5 juin 2013 : une bagarre entre antifascistes, plus communément appelés antifas, et nationalistes. À la sortie d'une vente privée de vêtements Fred Perry, une marque affectionnée par les deux camps, rue Caumartin dans le 9ème arrondissement de Paris, Clément Méric avait trouvé la mort. L'expertise médico-légale avait révélé que le jeune de 18 ans avait reçu cinq coups, qualifiés de « très violents ». Les militants d'extrême-droite appartenaient au groupe 3ème voie, créé par le sulfureux Serge Ayoub et dissolu à la suite des événements.
Des détails qui n'en sont pas
Cinq ans plus tard, le mardi 4 septembre 2018, débutait le procès Clément Méric. Deux semaines de témoignages, parfois contradictoires, souvent animés. Trois questions figuraient au cœur des débats. La première : qui était à l'origine de cette bagarre ? Si l'on a longtemps cru à un homicide volontaire, potentiellement prémédité, il semblerait que la rixe ait été le fruit d'un concours de circonstance ayant amené les deux bandes rivales à la même vente privée. En second lieu, qui a frappé Clément Méric, entraînant la mort du militant ? Esteban Morillo et Samuel Dufour, déjà placé un an en détention provisoire, sont tous les deux sur le banc des accusés pour une peine pouvant aller jusqu'à 20 ans d'emprisonnement. Alexandre Eyraud se voit lui accusé de « violences aggravées ». La dernière question, a-t-il été fait usage d'un poing américain ? Ce détail qui n'en est pas un constituerait une circonstance aggravante.
Sur les faits eux-même, le procès a permis d'éclairer de nombreuses zones d'ombres. Les deux bandes se sont en fait rencontrées au milieu de la vente privée. À ce moment-là, Clément Méric n'est pas encore sur les lieux, ni Esteban Morillo. Nationalistes et antifascistes se toisent mais en restent aux invectives. Le groupe de militants d'extrême-gauche ressort de la vente pour attendre Clément avec lequel ils ont rendez-vous. C'est alors que Samuel Dufour appelle Esteban Morillo en renfort, prenant peur. Pendant ce temps, un vigile présent à la vente, descend appeler les antifas au calme. Quand les nationalistes descendent enfin de la salle des ventes, ils prennent la direction du groupe de militants d'extrême-gauche, « pour ne pas les avoir dans le dos », selon Alexandre Eyraud. Un argument que le tribunal conteste fortement, rappelant qu'ils avaient déclaré « avoir peur ».
Les aveux d'Esteban Morillo
Par ailleurs, le procès est parvenu à déterminer qui avait frappé Clément Méric, provoquant sa mort. En sortant de la vente privée, Esteban Morillo, insulté par le jeune de 18 ans, se serait approché « pour en discuter ». Rapidement encerclé par trois antifas, il n'aurait, selon lui, fait que se défendre. « Je n’ai pas frappé pour lui faire mal mais pour le repousser. » Quand la juge lui demande pourquoi il a visé la tête, il répond : « J’ai simplement frappé, j’ai pas réfléchi. » Il reconnaît donc être l'auteur des coups portés à Clément Méric. De son côté, Samuel Dufour explique s'être battu avec d'autres antifas, plus loin.
Quant à la dernière question, elle reste en suspens. Une première analyse du corps de la victime n'avait révélé aucune fracture, excluant la possibilité d'utilisation d'un poing américain, mais une contre-expertise était revenu sur cette affirmation en mettant en lumière une fracture du nez. Par ailleurs, de nombreux témoins, dont un SDF et un cadre présents sur la scène affirment avoir aperçu un objet brillant dans la main d'un agresseur. Les accusés nient les faits en bloc. Pourtant, le soir même, Samuel Dufour se vante dans un SMS d'avoir envoyé Clément Méric à l’hôpital grâce à un poing américain. Même du côté des antifas, les témoignages sont divisés. La majorité affirme que les nationalistes n'étaient pas armés, mais l'un d'entre eux assure le contraire. La charge reviendra à la justice de décider ce qu'il en est.
Intervention agitée de Serge Ayoub
Le procès aura par ailleurs été entaché par le témoignage de Serge Ayoub, le 11 septembre, figure récurrente de l'extrême-droite depuis le début des années 1980. à cette époque, il s'illustre dans les bagarres contre l'extrême-gauche sous le sobriquet de « Batskin », pour son maniement réputé de la batte de baseball. Durant toute la durée de son témoignage, provocateur, il n'aura de cesse de minimiser sa part de responsabilité dans l'affaire, tâchant de faire oublier que les deux jeunes sont des sympathisants de Troisième voie, le mouvement dont il est le créateur, et qu'ils sont des habitués du Local, le bar dont il est le propriétaire. Pourtant, c'est bien lui qu'Esteban Morillo appelle peu de temps après la rixe et c'est bien dans son bar que les deux jeunes trouvent refuge. Autre fait remarquable, c'est lui qui informe les deux accusés de la mort de Clément Méric, et leur conseille de contacter un avocat, leur disant « vous êtes dans la merde. » L'enquête révèle que peu de temps après cet échange, Ayoub contacte les services de la préfecture et leur fournit les identités de Esteban Morillo et de Samuel Dufour.
Au final, Esteban Morillo risque une peine de douze années de réclusion criminelle, Samuel Dufour, sept et Alexandre Eyraud quatre, dont deux avec sursis. Dans l'histoire, Rémi Crosson de Cormier, l'avocat général a déclaré : « Clément Méric a succombé autant à la haine qu'à la bêtise et à l'inconséquence. »
Boris Granger