La SNCF a été condamnée en appel pour discrimination envers les cheminots chibanis. Elle devra verser 170 millions d'euros de dommages et intérêts à ces travailleurs immigrés maghrébins.
« C'est un grand soulagement. Nous pouvons enfin dire que le combat que nous avons mené pendant dix ans n'a pas été vain. » Même s'il y a toujours cru, Yannick Benhammou s'est dit « très ému » à l'annonce de la condamnation en appel de la SNCF pour discrimination envers les cheminots chibanis, dont il fait partie. Ces travailleurs immigrés marocains, aujourd'hui à la retraite, avaient été embauchés par la SNCF dès le début des années 1970. Étant la plupart contractuels, ils ne pouvaient, à ce titre, bénéficier des mêmes droits et avantages salariaux que leurs collègues français. Mercredi soir, la justice a tranché et a décidé de réparer le préjudice subi par ces ouvriers. La compagnie ferroviaire devra donc verser aux 848 plaignants près de 170 millions d'euros de dommages et intérêts, soit 200 000 à 250 000 € par personne.
VICTOIRE DES CHIBANIS !
La justice vient de confirmer la contamination de la SNCF pour discrimination. Elle reconnaît en plus le préjudice moral & de formation des 848 cheminots marocains.
Chaque chibani recevra en moyenne entre 200 & 250 000 €.C'est un jugement exécutoire. pic.twitter.com/ig61Pe2z9y
— Sihame Assbague (@s_assbague) 31 janvier 2018
L'histoire des chibanis, littéralement les « cheveux blancs » en arabe, c'est celle de ces milliers d'immigrés de première génération, à avoir traversé la Méditerranée pour s'installer en France à la fin de la décolonisation. Parmi eux, Omar Solo, arrivé à Strasbourg à l'âge de 18 ans en vertu d'une convention signée entre la France et le Maroc en 1963. Après deux semaines de formation, le natif de la ville d'Oujda est affecté à la gare du port du Rhin en septembre 1971. « J'étais chargé de manoeuvrer et de caler les wagons, raconte-t-il. À cette époque, l'aiguillage se faisait manuellement : c'était un travail vraiment éreintant à la cadence infernale. » Mais au bout d'un mois à peine, l'essieu d'une roue lui tombe sur la main gauche et il perd trois doigts. « Je suis resté en convalescence à la maison pendant huit mois, mais j'ai vite repris le travail. »
Omar Solo est entré à la SNCF comme auxiliaire, avant de devenir homme d'équipe en 1976 ; un statut qui à expérience et qualification égale, ne lui permet pas de bénéficier des mêmes avantages que ses collègues français. « Nous n'avions pas le droit d'aller voir le médecin de la SNCF, alors que c'était gratuit pour les cheminots français. » 36 années plus tard, il profite de départs volontaires pour partir en pré-retraite avec une maigre pension de 1 050 €, 970 € depuis la hausse de la CSG. Mais sa vie va changer, Omar Solo fait partie des 848 chibanis qui seront indemnisés par la société ferroviaire.
D'un an son aîné, Yannick Benhammou a suivi quasiment le même parcours. « Rebelle », curieux et syndiqué à la CGT, le jeune responsable de la circulation ferroviaire à Lauterbourg comprend lors d'un entretien avec le psychologue de l'entreprise qu'il sera limité au plus bas échelon, car « pas Français ».
« Pendant toute ma carrière, j'ai demandé à évoluer en sollicitant un contrat cadre », explique-t-il. Sans réponse jusqu'à maintenant… Alors quand il décide de rejoindre un groupe de cheminots parisiens à l'automne 2010 pour attaquer la compagnie ferroviaire aux prud'hommes, on le traite de fou. « La bataille était disproportionnée, face au mammouth SNCF, concède Yannick Benhammou, mais la France est un pays de droit et j'étais sûr qu'on finirait par obtenir justice. »
Robin Dussenne