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08/02/24
17:40

John Travolta, un monstre qui gémit et la Castafiore : "Polifemo" ou ma première fois à l’Opéra

Polifemo du compositeur Nicola Porpora est présenté à l'Opéra national du Rhin de Strasbourg. Une vraie découverte de l'univers de l'opéra pour moi, qui m’a presque laissée baba.

Le salut de fin lors de la représentation de Polifemo le 7 février à l'Opéra national du Rhin. © Clara Grouzis

Pour m’initier à l’opéra, je pensais commencer par Mozart ou Bizet. Des classiques, comme La Flûte enchantée ou Carmen, dont je connais les musiques et les airs. Mais je ne les ai pas trouvés cette saison à la programmation de l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg. Alors je me suis rabattue sur Polifemo, de Nicola Porpora. J’ai tenté ma chance, pris le risque. Et le pari est réussi.

Ennui et fou-rire devant trois heures de Castafiore

Ça ne me faisait pas si peur que ça, l’opéra : regarder des artistes enchanter la scène dans un lieu sublime. Mais en tant que non-initiée, j’avais tout de même quelques craintes. J’appréhendais l’ennui. L’ennui de regarder des gens chanter, sans qu’ils ne jouent ou ne dansent.  Déjà que parfois, le temps est long quand je vais voir un ballet. Et pourtant j’adore ça. Alors juste de la musique, et des voix haut perchées pendant trois heures, vraiment ? Ma référence de l’opéra, c’est la Castafiore dans Tintin : pas très flatteur. L’envie de pouffer me prend chaque fois que j’entends un air qui pourrait ressembler au fameux « Ah ! Que je ris de me voir si belle en ce miroir ». Et me voilà qui imite la plantureuse blonde, dans un éclat de rire. Là, il fallait éviter de s’esclaffer.

Et être sérieuse, parce que les gens le sont à l’opéra. Et d’ailleurs, j’imaginais que la mise en scène le serait aussi. Des costumes à froufrous et des histoires poussiéreuses. Après tout, Polifemo est un opéra baroque, qui date de la grande époque des opera seria, dont les histoires sont souvent tirées de la mythologie et dont la structure est très codifiée. Nicola Porpora, mal connu du grand public aujourd’hui, était pourtant le rival de Haendel. Dans Polifemo, joué pour la première fois en 1735 à Londres, il a voulu rivaliser avec son concurrent, en créant des rôles pour de grands artistes, notamment les castrats Sensino et Farinelli. Un castrat, c’est un chanteur qui a subi une castration avant sa puberté, de sorte qu’il a conservé une voix aiguë enfantine tout en ayant la capacité thoracique d’un adulte. Technique, tout ça.

Une langue inconnue et des péripéties confuses

Enfin, je n’étais pas sûre de tout comprendre à l’intrigue. J’avais rapidement parcouru la présentation en achetant le billet il y a quelques mois, mais je ne m’en souvenais pas. Et elle n’était pas vraiment limpide. Le livret, c’est-à-dire le scénario, raconte deux épisodes mythologiques dans lesquels apparaît le cyclope Polyphème : l’aventure d’Ulysse qui lui échappe en lui crevant l’œil et la vengeance du monstre contre les amants Acis et Galatée.

J’avais en tête les pièces de théâtre de Racine, qui s’inspirent de la mythologie, et dans lesquelles les diverses péripéties sont toujours imbriquées et difficiles à démêler. Je pensais aussi à certains ballets, qui certes, se terminent toujours par le mariage des deux amants, mais réunissent souvent beaucoup de personnages, et des triangles voire des quatuors amoureux improbables. En chanson, et en italien, ça allait donc être compliqué.

Spoiler alert, je me suis trompée. Même fatiguée, en clignant des yeux pour bien voir parce que j’avais oublié mes lunettes, et en 3ème galerie – avant-dernier étage – c’est passé vite. Je me suis laissée bercer par la musique et les voix, notamment par la lamentation de Galatée au moment de la mort de son amant. A ce moment-là, aucune envie de rire, j’étais scotchée. J’ai quand même un peu pensé à la Castafiore.

Des spectateurs pas si coincés que ça

J’ai ri pendant certaines scènes. J’ai ri parce que c’était drôle. J’ai ri avec les autres spectateurs quand la nymphe Calypso enferme Ulysse dans une cage, avec un air dominateur, ou qu’elle pose sa main au niveau de l’entrejambe du héros avant de s’excuser auprès du public. J’ai ri quand le cyclope Polyphème se délecte du nectar offert par la nymphe et le fait savoir dans le micro, en poussant des gémissements de satisfaction. Et j’ai ri quand Ulysse a débarqué sur son navire en carton avec un costume de muscles en plastique.

Pour la première française de cet opéra, Bruno Ravella, le metteur en scène, a pris le parti de s’inspirer des péplums des années 1960. Le rideau s’ouvre sur un plateau de cinéma italien. Un réalisateur autoritaire, Polyphème, et Ulysse, un acteur en veste en cuir adulé, qui a des airs de John Travolta, tournent un péplum sur les aventures d’Ulysse. Dans une mise en abyme originale, l’autre épisode mythologique se déroule entre techniciens et acteurs une fois la caméra éteinte.

Cette dimension parodique se révèle en réalité assez efficace. Elle implique des décors assez impressionnants, tous réalisés dans l’atelier de l’Opéra du Rhin à Strasbourg, dans le quartier de la Meinau. Je revois notamment la montagne du cyclope, devant laquelle les figurines d’Ulysse et ses compagnons s’inclinent. Cette mise en scène rend aussi l’opéra prenant, et étonnamment accessible. Il suffit d’avoir vu les grands péplums des années 1960, ou juste Gladiator. En outre, le réalisateur du péplum a un côté harceleur, qui a tout de suite réveillé en moi le souvenir des scandales #Metoo. Épris de Galatée qui, elle, est éperdument amoureuse d’Acis, il harcèle la première et se venge contre le second. Un parti-pris résolument moderne.

Tout est bien qui finit bien, pour les personnages…et pour moi

Dernière remarque, et pas des moindres : j’ai tout compris. Les chants sont sous-titrés sur un écran, visibles depuis tous les fauteuils de la salle. Les solistes sont très expressifs, et l’intrigue se déploie avec clarté. Sans vouloir spoiler, tout est bien qui finit bien.

Je serais bien incapable de juger le niveau des chanteurs, mais je dois avouer que les voix m’ont impressionnée. L’interprète de Polyphème, José Coca Loza, a performé malgré une pharyngite. Sans lui, il aurait fallu annuler la représentation car peu de solistes connaissent ce répertoire, nous a-t-on expliqué en préambule. Franco Fagioli, qui incarne Acis, l’amant de Galatée, a été ovationné pendant de longues minutes. C’est lui qui incarnait le rôle pensé pour un castrat – il est contre-ténor – et qui a notamment entonné le célèbre air Alto Giovo en fin d’opéra. Un peu long tout de même. La fin est donc arrivée à point nommé au bout de trois heures.

Polifemo de Nicola Porpora est encore joué vendredi 9 et dimanche 11 février à l’Opéra national du Rhin, puis à Mulhouse et Colmar. Profanes de l’opéra, n’hésitez pas.

Clara Grouzis

Édité par Jade Lacroix

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