Psychologue et psychanalyste, Michaël Stora utilise Les Sims auprès de ses patients. Selon lui, ce jeu de simulation de vie, qui fête ses 25 ans ce mardi, permet aux enfants d’explorer leurs émotions dans un cadre sécurisé.
Pionnier de l’utilisation des jeux vidéo en thérapie, Michaël Stora explore depuis plus de vingt ans leur impact sur la psyché. Dès les années 2000, le psychologue parisien repère le potentiel des Sims, qui soufflent ce mardi 4 février 2025 leurs 25 bougies. Ce jeu, où l’on façonne le quotidien de personnages virtuels, s’avère être un formidable espace projectif pour les enfants : en incarnant des avatars et en mettant en scène des relations, ils expriment des conflits intérieurs souvent enfouis.
Webex : pourquoi avoir choisi Les Sims comme outil de travail ?
Michaël Stora : il y a vingt ans, quand j’ai commencé la médiation thérapeutique par le jeu vidéo, j’en ai testé énormément. Mais Les Sims m’ont marqué parce qu’ils se rapprochent des tests projectifs. Le jeu vidéo permet de créer une scène dans laquelle on joue un rôle. Et aussi bien dans les relations créées, dans le choix du mobilier que dans l’avatar choisi, l’enfant va être invité à exprimer ce qu’il n’arrive pas à dire autrement.
Comment cela se traduit-il concrètement en séance ?
C’est un véritable espace projectif. Je me souviens d’une fille d’une dizaine d’années en conflit avec ses parents. Dans le jeu, elle avait construit une magnifique maison avec eux… avant de les faire plonger dans la piscine et de retirer l’échelle. Mon rôle de thérapeute, c’est de l’aider à comprendre et à verbaliser cette pulsion agressive souvent culpabilisée. Il y a aussi des transgressions plus subtiles. Certains adolescents explorent des aspects liés à la sexualité. Les Sims permettent une grande liberté : on peut flirter, avoir des enfants… Un de mes patients a recréé la vie de son père, un homme volage, en mettant en scène une relation avec la femme de ménage du jeu.
Avez-vous choisi d’utiliser une version spécifique du jeu ?
Oui, je travaille avec Les Sims : Vivre sa vie, une version scénarisée. Dans ce mode, on commence enfant avec une mère acariâtre et négligente, et il faut accomplir des tâches pour s’émanciper. Ce scénario crée une mise en abyme forte pour des patients pris dans des relations toxiques avec leurs parents. Et puis, il y a aussi des jauges qui indiquent les besoins des personnages : faim, énergie, hygiène, vie sociale… J’ai eu des patients qui refusaient d’en tenir compte, comme s’ils voulaient nier leurs propres besoins. Will Wright, le créateur du jeu, m’avait confié il y a quelques années lors d’un dîner qu’il avait conçu Les Sims pour brouiller la frontière entre game (les règles) et play (le plaisir de jouer librement).
Certains patients peuvent-ils développer une forme de dépendance ?
Je ne suis pas forcément à l’aise avec le terme de dépendance, qui est souvent utilisé de manière excessive lorsqu’on parle de jeux vidéo. Mais c’est vrai que Les Sims peuvent occuper une place envahissante dans la vie de certains joueurs. Il y a une forme de répétition dans ce jeu, un cycle sans fin où l’on façonne, détruit et reconstruit, ce qui peut engendrer une immersion très intense.
Êtes-vous le seul à avoir recours aux Sims dans le suivi de vos patients ?
Au début, parler de jeux vidéo en thérapie était mal vu, mais aujourd’hui, leur valeur est de plus en plus reconnue dans le monde médical. Un collègue a d’ailleurs utilisé Les Sims avec des patients schizophrènes, qui ont de grandes difficultés sociales. Grâce au jeu, ils peuvent tester différentes interactions sans conséquences réelles, ce qui leur permet d’explorer des relations et des émotions inaccessibles autrement.
Clara Lainé
Edité par Gustave Pinard