Trois psychiatres et un psychologue ont été appelés à la barre du procès de Mohamed El Amri ce mercredi 31 janvier. Les experts doivent dire aux jurés si l’accusé de 34 ans, jugé pour double homicide et tentative d’homicide, était conscient de ses actes au moment des faits.
Difficile de savoir si le défilé d’experts en psychologie et en psychiatrie a pu aider les jurés ce mercredi 31 janvier. Censés délivrer chacun leur verdict sur l’état de santé de l’accusé au moment des faits, le 15 février, les experts n’ont pas réussi à se mettre d’accord, rendant le verdict encore plus difficile pour la cour.
Mohamed El Amri comparait pour plusieurs crimes : le meurtre de sa compagne et de son bébé de deux mois ainsi que tentatives d’homicide sur son beau-fils, alors âgé de 14 ans, et sur un policier. Tous les médecins sont d’accord sur la pathologie. C’est sur le degré de santé mentale qu’ils diffèrent. Était-il conscient de ses actes le 15 février 2015 ? Face au mutisme de l’accusé depuis les faits, difficile d’y voir clair.
Un seul expert pour l’abolition de discernement
Le docteur Amarilli a analysé Mohammed El Amri à deux reprises. L’état du prévenu est clair pour le psychiatre : « État schizophrène (héboïdophrénie) et hallucinations clairement identifiées. » D’après l’expert, le meurtre semble « immotivé », et donc commis par un malade mentale qui a des hallucinations. Pour le Dr Amarilli, il y a « abolition de discernement » : l’accusé a tué sans s’en rendre vraiment compte. Un jugement qui permettrait à l’accusé d’éviter la prison et d’aller en soin psychiatrique.
L’avocat général et la partie civile s’insurgent : « L’accusé n’était pas dans un délire, vu qu’il a reconnu les faits ! » L’expert se justifie : « On peut reconnaitre les faits tout en étant dans un délire schizophrène hallucinatoire. »
« Tue, on va te tuer ! »
Pendant son entretien avec le psychiatre, Mohammed El Amri a dit entendre des voix : « Tue, on va te tuer ! » lui disent-elles. Mais aucun autre expert n’a entendu telle chose. Ce qui sème le doute sur la Cour. L’accusé a-t-il dupé le Dr Amarilli ? Pour ce dernier, c’est tout à fait normal. Selon l’expert, les schizophrènes avec délires auditifs ont du mal à en parler. Un juré pose tout de même la question : « L’accusé peut-il faire semblant ? »« Je l’ai vécu, quand on allègue des hallucinations, on ne reste pas muet comme l’accusé l’a été ».
Avant de partir, le Dr Amarilli juge donc qu’une personne comme Mohammed El Amri, victime d’une schizophrénie à séquences chroniques évolutives, doit recevoir des soins psychiatriques au long court, « très appuyé ». Et s’il le faut, « à vie ».
« Entre altération sévère et abolition du comportement, la frontière est floue. »
Au tour du Docteur Meunier, venu spécialement de Lyon, d’être à la barre. D’accord sur la schizophrénie hallucinatoire avec son collègue, il remet pourtant en cause l’absence totale de discernement lors des faits : « Mohammed El Amri raconte une vie hallucinatoire, il a une perception discontinue de la réalité. Il n’est pas loin de l’abolition du discernement. » Mais pas question de franchir la ligne rouge pour l’expert : « Il y a une limite floue entre altération sévère et abolition du comportement »
Alors, comment savoir si Mohammed El Amri était conscient ou non de ses actes ? Le docteur Meunier est formel : « Sa maladie a altéré, mais pas annihilé le contrôle de ses actes ». Un avis qui confirme les arguments de l’avocat général et des parties civiles : « M. Amri a été condamné plusieurs fois pour violence. A-t-on évoqué une seule fois son irresponsabilité mentale ? Non ! », affirme avec aplomb Maitre Guillaume Delord lors de sa plaidoirie.
Les mains croisées et plaquées contre sa bouche, Mohammed El Amri n’aura pas décroché un mot de toute la séance. Il reste moins de 24 heures aux jurés pour décider si oui ou non Mohammed El Amri était conscient de ses actes au moment des faits.
Sophie Allemand et Simon Cardona