Plus qu’un dialecte ou un simple patois, les langues régionales sont sacrées dans certaines régions. Le rejet du Conseil constitutionnel de l’enseignement majoritaire du régional a créé une vague d’émoi, malgré une application pour l’instant retardée.
Héritage familial ou marqueur d’une richesse culturelle, les langues régionales sont érigées en symboles des régions au fort ancrage identitaire. Le verbe local est souvent maitrisé par les plus âgés mais délaissé par les plus jeunes. Il n’en reste pas moins qu’un regain de popularité s’observe depuis quelques années et l’enseignement immersif en est le l’attribut le plus fort. Contrairement à l’enseignement bilingue, l’immersion ne cherche pas la parité linguistique. Les écoles immersives ont la volonté de former des locuteurs capables de maîtriser parfaitement les deux langues. En France, six idiomes historiques sont enseignés en immersion. Le Breton, l’Occitan, le Corse, le Catalan, le Basque et l’Alsacien. La proposition de loi du député du Morbihan, Paul Molac, sans étiquette politique, visait à protéger et faire de cet enseignement quasi-intégralement dispensé dans une langue autre que le français, un pilier de la reconnaissance des langues régionales. Adoptée le 8 avril 2021, le Conseil constitutionnel a estimé plus d’un mois plus tard cette pédagogie « contraire à la Constitution » et à son article 2. Une décision qui désole les représentants de ces langues autochtones.
Breton : « La décision est idéologique, dogmatique »
Gildas Grimault, ex-enseignant en lycée Diwan à Carhaix (Finistère).
Créée en 1977 à Ploudalmézeau, la première école Diwan a depuis fait des émules. Aujourd’hui, 4 050 élèves sont répartis en 48 écoles, six collèges et un lycée. Tous ou presque sont des établissements privés.
« C’est bizarre qu’une pratique qui existe depuis 1977 devienne interdite du jour au lendemain. Pourquoi devrait-on arrêter l’enseignement immersif alors qu’il a prouvé son efficacité depuis tant d’années ? La décision du Conseil constitutionnel est idéologique, dogmatique car pour eux la seule langue qui doit être parlée, c’est le français. Mais le rejet ne peut être, en aucun cas, basé sur des considérations de résultats. Les élèves issus d’écoles Diwan ont de meilleurs résultats en français que la moyenne. On a des gens là-haut qui nous parlent d’ouverture au monde mais je les trouve finalement très fermés. Ils prônent l’ouverture culturelle alors que la décision du Conseil constitutionnel vise à limiter la place des autres cultures. L’immersion est le minimum qu’on puisse faire pour s’assurer de la transmission de la langue bretonne. »
Basque : « Les mentalités doivent se moderniser »
Hur Gorostiaga, directeur général de Seaska, fédération des écoles en langue basque, les Ikastola, à Cambo-les-Bains (Pyrénées-Atlantiques).
Il existe 38 Ikastola dans le Pays basque. 4 064 élèves sont répartis dans 33 écoles primaires, quatre collèges et un lycée polyvalent. La limite d’enseignement dispensé en français est de 20%.
« La décision du Conseil constitutionnel est tout simplement un anachronisme et un non-sens. Elle ne tient pas compte de nos traditions. Les Ikastola ont été les premières écoles à enseigner en immersion en 1969. Depuis, c’est un enseignement qui a fait ses preuves. Les résultats au baccalauréat sont au-dessus de la moyenne départementale et bien au-delà de la moyenne nationale. Cette décision va également à l’encontre du libre choix des parents de l’enseignement de leurs enfants. Il est temps que l’instruction d’une seconde langue soit considérée comme un pilier fort de l’enseignement en primaire. Les mentalités de ceux qui composent le Conseil constitutionnel doivent se moderniser. La langue française est majoritaire partout : dans l’administration, dans les médias, sur les réseaux sociaux... Notre objectif est que les enfants soient parfaitement bilingues. Si on faisait un enseignement paritaire, la langue régionale serait diluée par l’omniprésence du français. Car en dehors de l’école, la tendance s’inverse, le français prend quasiment intégralement le pas sur le basque. »
Corse : « On sabrerait un travail de 50 ans »
Ghjiseppu Turchini, président de l’association Scola Corsa, Bastia (Haute-Corse)
Scola Corsa est le dernier de la famille des langues régionales. Deux écoles associatives ont été inaugurées il y a quelques jours à Bastia et à Biguglia. Elles ambitionnent de recevoir l’agrément de l’Éducation Nationale dans un délai de un à trois ans.
« On nous affirme que les langues régionales mettent en cause la langue française, foutaise ! Personne ne songe à contester l’article 2 de la Constitution car il faut que la République et la nation s’unissent autour d’une langue de référence. Là où le problème se pose, c’est qu’elle ne doit pas pour autant être exclusive par rapport aux autres langues du territoire. En sachant que la même Constitution a reconnu les langues régionales comme patrimoine de la nation française, il faut donc les protéger. Si la décision du Conseil constitutionnel était appliquée dans sa forme la plus restrictive, alors, le démantèlement des langues régionales serait définitif. Pour l’instant il n’y a pas eu de passage à l’acte, mais pour combien de temps ? Dans deux, trois, quatre ans, il y a de fortes chances que ça devienne effectif. Alors, on sabrerait un travail de 50 ans. »
Occitan : « On a des pistes de réflexion législatives »
Cristèla Simonato, coordinatrice de la Confédération Calandreta, Montpellier (Hérault).
L’occitan est pratiqué dans 19 départements pour 65 écoles primaires, quatre collèges et un lycée.
« La proposition de loi était vivement soutenue de notre part. Qu’importe son résultat, on continue l’immersion : on a de très bons résultats en français et en occitan. Désormais, on doit trouver une solution pour pouvoir continuer nos écoles immersives mais la menace de l’anti-constitutionnel plane. A priori, le gouvernement n’a, à cet instant, pas envie de faire appliquer la décision. Nous devons continuer à maintenir la pression pour ne pas revenir 50 ans en arrière. Pour continuer le combat, on a des pistes de réflexion législatives comme la modification de l’article 2 de la Constitution ou l’établissement d’une nouvelle loi. Mais à quelques mois de l’élection présidentielle, ça me semble compliqué. L’enseignement paritaire français-langue régionale comme compromis ? Non, ça ne suffirait pas, on n’en ferait pas des locuteurs mais seulement des personnes qui maitriseraient quelques notions de la langue régionale. »
Alsacien : « C’est plus un problème idéologique que pédagogique »
Pascale Lux, vice-présidente d’ABCM Zweisprachigkeit, réseau d’écoles associatives bilingues, Schweighouse sur Moder (Bas-Rhin).
1 200 élèves dans douze écoles maternelles et élémentaires en Alsace et en Moselle. Ce qui correspond à l’Alsacien-Allemand dans le langage courant est en réalité l’Elsasserditsch. Les écoles immersives d’ABCM ont débuté en 2017.
« Pour une fois qu’une loi était passée à l’Assemblée, on n’a pas compris la marche arrière. La France est l’un des rares pays en Europe a ne pas avoir signé la charte des langues régionales. On ne sait pas de quoi la République a peur. On a prouvé que les enfants maitrisent tout aussi bien voire mieux la langue française par l’enseignement immersif que dans un établissement monolingue. C’est plus un problème idéologique que pédagogique. Par exemple, un enfant qui parle l’allemand, le français et l’alsacien n’aucune difficulté à apprendre l’anglais. Quel est le problème à apprendre plusieurs langues ? »
Catalan : « Il va falloir s’adapter aux demandes de l'Éducation nationale »
Sandrine Flores, professeure et directrice de l’école Arrels Cassanyes, Perpignan (Pyrénées-Orientales)
Il existe également des écoles immersives publiques, à ne pas confondre avec les écoles associatives privées, les Bressolas. Les Catalans sont les seuls à introduire le français en CE2 en parité horaire, un an avant pour les autres régions.
« On est très inquiets de ce qui peut advenir de notre fonctionnement. Désormais, on est rassurés pour l’année scolaire mais on reste sur le qui-vive, on sait qu’il y aura des discussions dans les années à venir. Notre futur est incertain. J’espère qu’un simple cadre sera appliqué au contraire de mesures encore plus restrictives. En tant qu’école publique, il va falloir s’adapter aux demandes futures de l'Éducation nationale. »
Hadrien Hubert