Ce mardi 30 janvier, le personnel d'Ehpad, les maisons de retraite médicalisées, est en grève. Une mobilisation nationale inédite des soignants, soutenus par certains directeurs d'établissements, comme Micheline Keiling, directrice de l'Ehpad Saint Arbogast à Strasbourg.
En ce début d'après-midi, l'Ehpad Saint Arbogast à Strasbourg est momentanément à l'arrêt. Micheline Keiling, directrice de l'établissement, a convoqué l'ensemble du personnel dans le hall d'accueil, le temps de faire le point sur la mobilisation du jour. Médecins, infirmiers, aides-soignants, agents de service et même quelques résidents et leurs familles. Ils sont tous là.
A 59 ans, Micheline Keiling, infirmière de formation, considère son personnel comme « sa deuxième famille ». Elle est totalement solidaire de leur mobilisation. « Je pense que nous, directeurs d'établissement, devons participer à ce mouvement pour dénoncer la situation actuelle. On est tous dans la galère. » Cela fait quinze ans qu'elle dirige cet Ehpad. Le matin même, elle s'est rendue à la mobilisation organisée sur la place Kléber, accompagnée de dix de ses salariés.
Ses revendications sont les mêmes que celles du personnel : plus de moyens et plus d'effectifs. En journée, l'établissement tourne avec six aides-soignantes le matin et cinq l'après-midi pour 82 résidents, dont 50 grands dépendants. La nuit, c'est une aide soignante et un agent de service pour le même nombre de résidents répartis sur quatre étages. « C'est là que ça pêche », explique la directrice. Nathalie, aide-soignante, confirme : « Il suffit d'un incident et ça devient l'horreur ». Cette mère de deux enfants en bas âge se lève tous les jours à quatre heures du matin et passe une heure et demi dans les transports pour venir travailler à l'Ehpad. Elle travaille en moyenne sept heures par jours pour un salaire mensuel de 1300 euros. « Sept heures, c'est vraiment le minimum. S'il y a un imprévu, un résident qui fait une chute, une crise d'angoisse ou un décès, on n'a pas le choix, on doit rester. Et ça arrive souvent ». Nathalie et ses collègues sont en état de fatigue psychologique et physique.
Dorcas en est un parfait exemple. Cette aide-soignante de 46 ans reprend le travail, malgré une lombalgie. « Je me suis blessée en soulevant un résident », raconte-t-elle. Après cinq jours d'arrêt, elle boite toujours. Avant de prendre son service, Dorcas jette un coup d'oeil au planning : 20 résidents en sept heures. Elle commence par Mme Warter, « une résidente complètement dépendante et très angoissée». Malgré la douleur, Dorcas la soulève pour qu'elle puisse se rendre à la salle de bain. Au même moment, son téléphone sonne. C'est un autre résident qui a besoin d'aide. Mais pas le temps de décrocher, Dorcas doit accompagner Mme Warter à la salle de bain. Quelques minutes plus tard, c'est la voisine de Mme Warter qui demande de l'aide. Cette fois, Dorcas s'interrompt. « Je dois m'en occuper tout de suite, sinon elle angoisse ». Malgré la charge de travail, l'aide-soignante garde le sourire.
Pour les familles qui payent 61 euros par jour, soit 1800 euros par mois, cette situation est intolérable. « On a de bonnes relations avec tout le personnel, on sent qu'ils font ce qu'ils peuvent, mais il est évident qu'il y a un manque d'effectif », s'agace Nicole, dont la mère âgée de 94 ans est hébergée à l'Ehpad Saint Arbogast. « Ce que je ne supporte pas, c'est le turnover. Elle n'a pas de soignant référent. Il n'y a donc pas de suivi dans les soins. »
A 14 heures 30, Micheline Keiling sonne la fin du rassemblement. Le personnel, lui, retourne travailler avec l'espoir de voir les choses bientôt changer.
Wyloën Munhoz-BoiLlot