Emmanuel Macron reconnaît enfin la responsabilité de l’Etat dans la disparition de Maurice Audin en 1957. Voici cinq livres qui retracent cette guerre de la mémoire.
C’était la « guerre sans nom », et aussi la torture sans reconnaissance. Ce jeudi 13 septembre, le Président Emmanuel Macron a fait un grand pas en admettant la responsabilité de l’Etat français dans la mise à mort de Maurice Audin, mathématicien et membre du Parti communiste.
Une liste d’ouvrages éclaire sur ce sujet longtemps resté tabou en France : l’usage de la torture par l’Armée française pendant la guerre d’Algérie de 1954 à 1962.
Henri Alleg, La Question (Minuit, 1958)
C’est l’un des livres qui ont éveillé le monde aux réalités de la torture en Algérie. Le journaliste franco-algérien Henri Alleg travaille au journal communiste l’Alger Républicain jusqu’à son interdiction en 1955, mais il continue à envoyer des articles à l’Humanité. Alleg est interpellé par l’armée française à Alger le 12 juin 1957, au domicile de son ami Maurice Audin, arrêté la veille. La Question est le récit de sa torture dans une villa du quartier d’El-Biar, en compagnie de Maurice Audin. Officiellement, ce dernier « s’est évadé » par la suite, lors d’un transfert. Alleg détaille les méthodes de torture qu’il a lui-même subi. Elles sont à la fois physiques (la gégène, par exemple), et psychologiques (menaces sur sa famille, propos et actions pour nier son humanité). Le livre est immédiatement censuré, mais continue à être imprimé en Suisse et des exemplaires clandestins arrivent en France. Les descriptions sont bouleversantes. Un livre indispensable.
Pierre Vidal-Naquet, La Torture dans la République : essai d’histoire et de politique contemporaine, 1954-1962 (Minuit, 1972)
Historien et militant contre la torture, Pierre Vidal-Naquet enquêtait déjà sur le sujet pendant les « événements » en Algérie. En 1958, peu après la sortie de La Question, il publie son premier livre, L’Affaire Audin, dans lequel il affirme que Maurice Audin ne s’est pas évadé, mais est mort aux mains des parachutistes. Il va plus loin avec son livre de 1972, démontrant que la gangrène qu’est la torture impliquait les plus hauts échelons de l’Etat français. Un livre essentiel pour comprendre les répercussions de l’utilisation des interrogations violentes sur la démocratie.
Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962 (Gallimard, 2001)
Si l’on veut s’interroger non seulement sur le « quoi » de la torture, mais aussi sur le « pourquoi », le livre de l’historienne Raphaëlle Branche s’impose. L’ouvrage est riche en témoignages écrits et interviews réalisées par l’auteur avec les tortionnaires mêmes. Branche met en lumière le symbolisme au cœur de cette forme de violence. Elle explique que, « plus que faire parler, elle voulait faire entendre », montrant que, contrairement à la croyance populaire, le premier but de la torture n’est pas d’obtenir des renseignements. Il est de semer la peur, de terroriser, et d’imposer la supériorité d’un groupe sur toute une population.
Marnia Lazreg, Torture and the Twilight of Empire : From Algiers to Baghdad (Princeton, 2008)
L’ouvrage de la sociologue d’origine algérienne Marnia Lazreg, « La torture et le déclin de l’empire colonial : D’Alger à Baghdad », n’a pour le moment pas été traduit en français. Mais c’est un livre important qui nous rappelle que la torture n’est pas simplement un phénomène historique, mais a une dimension contemporaine. En 2003, le Pentagone projette La Bataille d’Alger, un film de 1966, qui met en scène la torture utilisée par l’Armée française entre 1954 et 1957. Les Etats-Unis sont alors en pleine guerre d’Irak, et ses dirigeants militaires s’inspirent de l’expérience française en Algérie pour apprendre à combattre le terrorisme. Lazreg démontre les similarités entre les méthodes utilisées par les Français et l’administration de George W. Bush, ainsi que les modes de transmission. La notion de la domination coloniale est-elle applicable aux guerres du 21ème siècle ?
Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie (La Découverte, 1991)
Pourquoi l’Etat français a-t-il mis 60 ans pour reconnaître sa responsabilité dans la disparition de Maurice Audin ? Le livre de l’historien Benjamin Stora, né en Algérie, peut nous fournir des indices. Stora propose de revenir sur les raisons de « l’oubli » qui s’est installé sur les événements de la guerre, en France comme en Algérie. En 1987, Henry Rousso a publié Le Syndrome de Vichy, allant aux racines de l’oubli collectif sur les faits de collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec La gangrène et l’oubli, Benjamin Stora fait de même pour cette autre guerre qui a provoqué une amnésie toujours pas totalement résolue.
Martin Greenacre