Pour boucler le budget 2024, le gouvernement doit emprunter 285 milliards d'euros. « Rien d’alarmant » pour l’économiste strasbourgeois Dany Lang.
L'État français est endetté à 112,5 % de son PIB. Image : rawpiwel.com sur Freepik
3046,9 milliards. Une somme astronomique qui correspond à la dette française en 2023, statistique annoncée ce vendredi 29 septembre par l’Insee. Une somme qui pourrait interroger sur la viabilité de notre économie, potentiellement plombée par le remboursement des 52,2 milliards d’euros de charge budgétaire en 2024. Déjà en hausse constante depuis des dizaines d’années, l’endettement s’est encore renforcé avec le « quoiqu’il en coûte » de la période Covid. Mais ce constat est-il catastrophique pour notre économie ou simplement une vision catastrophiste ?
La dette s’élève à 111,8 % du PIB. Mais pour Dany Lang, maître de conférence en économie à Sorbonne Paris Cité et membre des Économistes atterrés, « cet indicateur n’a aucun sens. C’est un épouvantail qui ressort à chaque fois pour justifier une politique d’austérité. Contrairement à une dette privée d’un citoyen qui va partir à la retraite un jour, l’État continue d’exister continuellement et d’engranger des ressources. Il ne devra jamais rembourser l’entièreté de sa dette ». Pour financer son budget, un État se finance en émettant des obligations, soit un titre financier qui représente un morceau de dette sur un marché financier. « Cet actif est réputé " sûr " sur les marchés justement parce qu’un État n’a pas de limite d’existence dans le temps », assure Dany Lang.
En 2022, la dette française s'élevait à 2949 euros. Crédit : Milan Derrien
Un bon exemple est le Japon, où la dette tourne autour de 250 % du PIB. Pourtant, le pays n’est pas en faillite. Les États-Unis ont aussi un niveau de dette supérieur de 10 points à celui de la France. Dans ces pays, les banques centrales assurent le remboursement du déficit si l’État n’y arrive pas. Pour l’économiste, « peu importe le niveau d’endettement et les taux d’intérêts, les investisseurs ont une garantie sur leur placement. Au contraire, dans l’UE, le Traité de Maastricht (NDLR : traité fondateur de l’Union datant de 1992) impose l’indépendance de la Banque centrale européenne. Elle ne viendra pas sauver un pays en faillite comme a pu l’être la Grèce. Ce traité vise à limiter les dépenses publiques des pays en empêchant une envolée de leur dette. Mais c’est idiot, car les économies de la zone euro sont moins protégées qu’ailleurs en cas de problèmes ».
Un risque : des taux d’intérêts trop haut
Le gouvernement a annoncé mercredi 27 septembre emprunter 285 milliards sur les marchés pour financer le budget de l’année prochaine. « C’est une bonne chose. Les taux d’intérêts risquent encore d’augmenter, il vaut mieux emprunter maintenant », rassure Dany Lang. Car oui, il y a un risque lié à la dette : une hausse trop brutale des taux d’intérêts. Quand un État se rend sur un marché financier, il connaît le taux auquel il va emprunter. Plus le taux est élevé, plus il sera réticent car il devra rembourser chaque année une part importante de sa dette. Au contraire, si les taux sont bas, l’État aura peu de frais et pourra financer ses dépenses à moindre coût. Mais depuis que l’inflation a atteint un niveau important, notamment à 4,3 % dans la zone euro en septembre, les banques centrales mondiales ont fortement augmenté les taux d’emprunt. L’objectif de cette politique : freiner la consommation qui était supérieure à l’offre, alors que les entreprises étaient ralenties par le Covid. Si la demande baisse due à un ralentissement des emprunts, l’offre va s’adapter et les prix vont alors baisser.
Un taux d’intérêt à un niveau « raisonnable »
« Actuellement, le taux d’intérêt à 10 ans pour les obligations de l’État français est de 3,36 %, contrairement aux années précédentes où il s’établissait à 1 ou 2 %. Certes, il est plus élevé qu’avant, mais le discours alarmiste actuel n’a pas lieu d’être. On peut dire que s’il atteint 5 ou 6 % avec une croissance basse, il faudra tirer la sonnette d’alarme. » D’autres critères sont à prendre en compte pour mesurer la charge de la dette. « La croissance a un impact puisqu’elle entraîne plus de recettes pour l‘État. Par exemple, vu que les biens de consommation sont plus chers, l’État va récolter plus de TVA proportionnellement. L’inflation doit également être soustraite aux taux pour qu’ils soient réels. » Pour Dany Lang, la dette va continuer à augmenter. « Maintenant, il va falloir de la dette pour financer la transition écologique. Et il vaut mieux être endetté que vivre sur une Terre qui n’est plus viable. »
Jade Lacroix
Édité par Manon Boudsocq