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On ne compte plus les têtes sacrifiées sur l'autel de l'empire Bolloré. Après Canal Plus, c'est maintenant au tour d'Universal Music France d'être dans le viseur de l'actionnaire majoritaire de Vivendi. Son directeur, Pascal Nègre, vient d'être remercié après 18 ans de service. Mais quelle est donc la stratégie de Bolloré ?
La nouvelle est tombée jeudi soir. Après 18 ans à la tête de la direction d'Universal Music France, Pascal Nègre, 54 ans, quitte le navire. Il sera remplacé par Olivier Nusse, actuellement directeur général du label Mercury Music Group et d'Universal Classic & Jazz France. Son départ est loin d'être une surprise. Il faisait l'objet de spéculations depuis plusieurs semaines, son contrat étant arrivé à échéance fin 2015. Le communiqué de presse d'Universal reste bien évidemment flou sur les raisons de cette éviction. Selon Le Point, son départ serait lié à un "désaccord sur une réorganisation que voulait lui imposer Bolloré". Une source interne à Universal Music, citée par l'AFP, apporte un autre éclairage : "Bolloré cherchait à placer un de ses proches à la tête du groupe, comme il le fait généralement dans les entreprises qu'il rachète."
Redresser la barre
Au sein de Canal Plus, c'est en effet la stratégie que mène le patron de Vivendi depuis un an. Rodolphe Belmer, directeur général de la chaîne cryptée, Bertrand Meheut, président du directoire, ou encore Thierry Thuillier, directeur des Sports, ont été rapidement poussés vers la sortie et remplacés dans la foulée par des proches du financier. Le but de ce grand ménage : redresser la barre. Car depuis quatre ans, la chaîne cryptée va mal et a perdu 338 000 abonnements en un an. La faute "au prix des abonnements auquel s'ajoute la concurrence de BeInSport et de Netflix", explique Patrick Eveno, spécialiste des médias et professeur à l'Université de la Sorbonne.
Une loi contre la censure
Mais ce qui inquiète le plus les observateurs, c'est sa volonté de s'immiscer au sein même des programmes de Canal Plus. Le magazine Spécial investigation en a fait les frais. Il a vu plusieurs de ses enquêtes censurées car elles touchaient de près ou de loin aux intérêts de l'actionnaire. A l'image du documentaire sur le Crédit Mutuel retoqué par Vincent Bolloré deux semaines avant sa diffusion. "Il avait passé un coup de fil au directeur de Canal plus en disant qu'il ne fallait pas taper sur les amis", raconte Geoffrey Livolsi, co-auteur de l'enquête. "Il avait même menacé France 3 de les poursuivre s'ils diffusaient ce reportage dont ils n'avaient pas encore les droits", ajoute le journaliste. Finalement, le documentaire sera diffusé sur la chaîne publique.
Pour éviter ce genre de censures à l'avenir, une proposition de loi pour "renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias" vient d'être déposée par le député PS Patrick Bloche. Qualifiée d'"anti-Bolloré", elle à vocation à protéger "tout journaliste de l’influence des actionnaires de son média ou de ses annonceurs" et verra "la généralisation des comités d’éthique qui pourront s’auto-saisir ou être consultés pour avis par la direction, le CSA ou toute autre personne", explique le député.
Mais pour Patrick Eveno, cette loi, qui sera examinée le 8 mars à l'Assemblée nationale, ne va absolument rien changer. "Bolloré se moque complètement de l'information, nuance-t-il, ce qu'il veut, c'est faire de l'argent en misant sur le divertissement et le sport". Les faits lui donnent raison. Après avoir noué un partenariat de diffusion exclusives d'une durée de cinq ans avec son concurrent BeInSport, l'actionnaire lance aujourd'hui une offre publique d'achat sur l'éditeur de jeux vidéos Gameloft. L'empire Bolloré n'est pas prêt de s'effondrer.
Estelle Pattée