Le 1er juillet 2008, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne pour la douzième fois. Depuis plus d’un an, la Représentation permanente, à Bruxelles, et le secrétariat général des affaires européennes, à Paris, fonctionnent à plein régime. Et la pression monte dans les ministères. Car une présidence du Conseil ne s’improvise pas. Et l’équipe française a très peu de temps pour être au point, par la faute d'un calendrier électoral tardif. Branle bas de combat, donc, dans la haute administration nationale, pressée de se mettre en rangs serrés.
Nicolas Sarkozy veut faire de cette présidence un moment clef de son quinquennat, sa campagne d’Europe. Avec un enjeu martelé à l’envi : «la France est de retour en Europe» après un long crépuscule à Bruxelles.
Dans un discours ultra-politique sur les priorités de la présidence française prononcé le 13 novembre 2007 devant les eurodéputés à Strasbourg, il a tenu à revenir sur les causes du «non» français: l’angoisse, «le sentiment que l’Europe ne protégeait plus assez ses citoyens. L’Europe ne peut pas être tenue à l’écart de la vie, à l’écart des sentiments et à l’écart des passions humaines.» Conséquence ? Il faut aller chercher ces citoyens et les rassurer. La méthode ? Politique, évidemment.
Le credo de cette présidence en deux mots: protection et sécurité. Préférence communautaire, défense, diplomatie de combat, régulation des marchés financiers, immigration, les thèmes et les priorités annoncés par Nicolas Sarkozy sont des lancers de lassos vers les déçus de l’Europe. Quitte à se fâcher avec les autres capitales: «Nous avons des idées et des points de vue différents. Et bien, ce n’est pas une raison pour ne pas en parler», a-t-il professé devant les parlementaires éberlués. Jamais un chef d'Etat ne leur avait parlé ainsi.
Pour faire aboutir ces dossiers, la France fait un pari: l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er janvier 2009. Enfin peut-être. Car rien n’est joué.
Sur le plan international, il faudra faire avec deux rendez-vous majeurs: les Jeux Olympiques de Pékin en août 2008 et les élections présidentielles aux Etats-Unis en novembre. Deux événements qui touchent de près aux priorités françaises: relations avec les pays émergents et refondation du lien transatlantique. Le Kosovo, lui, restera la zone de tous les dangers.
Mais la présidence française a aussi quelques atouts dans la manche. Elle pourra notamment jouer la carte de la Commission européenne et du Parlement. Les deux institutions, en fin de législature, auront à cœur de faire aboutir leurs programmes politiques. Un moment providentiel pour aboutir à des compromis de velours sur des dossiers brûlants.
Le 31 décembre 2008, l’équipe de la présidence française aura passé six mois à la tête du Conseil. Mais c'est maintenant que tout se noue.
Qui fait quoi, où et comment? Aux avant-postes de la présidence française.
Antoine Krempf
Politiquement, l’Union européenne est au point mort. Et il ne faut pas compter sur la France pour relancer le débat constitutionnel. Depuis le 29 mai 2005 et jusqu’en juin 2007, Paris est aux abonnés absents pour cause de “non” et d’élections intérieures. C’est pourtant à la France, qui prendra la présidence de l’Union en juillet 2008, qu’il incombera de trouver un compromis sur la réforme institutionnelle. Ainsi en a décidé le Conseil européen en juin 2006. Pendant six mois, Paris mènera les négociations avec une obligation politique de résultat. S’en donne-t-elle les moyens ? Fin 2004, soucieux du déficit d’information des Français sur l’Union, Jean-Pierre Raffarin avait commandé un rapport au député Michel Herbillon. Après six mois d’enquête, le diagnostic de fracture remis à Dominique de Villepin au lendemain du référendum est sans ambiguité : « Pour l’homme de la rue « l’Europe, c’est loin », dans la mesure où les affaires européennes demeurent des affaires étrangères dans les esprits, dans les structures gouvernementales comme au Parlement et dans les médias.»
« Une simple réforme sémantique »
Le 17 octobre 2005, Matignon s’en inspire dans un décret qui veut améliorer la transparence du travail gouvernemental au sein de l’UE. Il revitalise le Conseil interministériel pour les questions de coopération économique européenne, rebaptisé “Comité interministériel sur l’Europe” (CIE). Sous la houlette du premier ministre, il réunit une fois par mois les ministres des Affaires étrangères, de l'Economie, et des Affaires européennes, ainsi que ceux «concernés par l’ordre du jour». Une composition qui date à peu près de sa création en... 1948. Son secrétariat général, qui, depuis plus d’un demi-siècle, coordonne au niveau administratif les positions françaises sur chaque dossier examiné par le Conseil de l’Union, devient le Secrétariat général pour les affaires européennes (SGAE). « C'est une simple réforme sémantique qui ne fait que perpétuer une structure inadaptée », se désole Jean-Luc Sauron, haut fonctionnaire et ancien conseiller juridique du SGCI, l’ancêtre du SGAE. Selon lui, l’existence même du CIE est « un aveu ». La politique européenne devrait figurer à l’ordre du jour du conseil des ministres, chaque mercredi. L'Union encadre en effet près de 80% des compétences de ceux et celles qui y siègent: les affaires européennes sont des affaires internes.
Un ordre de bataille obsolète
SGAE et Représentation permanente à Bruxelles, chargée de mener les négociations au jour le jour : la « gouvernance européenne » de la France repose pour l’essentiel sur ces deux bastions administratifs, terrains de manoeuvre des grands corps de l’Etat, connus des seuls initiés. Conçue à une époque révolue pour faire triompher à la hussarde les intérêts de la République dans la Communauté, à l’heure du Conseil tout puissant, du veto roi et de la domination française, la superbe machine de guerre affiche de beaux restes. Mais les deux séismes causés par l'Acte unique de 1986 puis la chute du Mur en 1989, ont disloqué sa raison d’être et exposé l'anachronisme dangereux de son monopole. En multipliant, pour construire le marché intérieur à marche forcée, les domaines de vote à majorité qualifiée, et en transférant parallèlement un pouvoir législatif croissant au Parlement européen, l’Acte Unique a rendu obsolète son ordre de bataille. L'effondrement du mur de Berlin, redessinant les frontières du continent jusqu’aux confins de l’Asie centrale, a fait déferler sur elle une mondialisation qui remise son rêve d’Europe tricolore au magasin des archives. Qu’importe ! Sur un terrain de jeu récemment élargi, la France s’essaie à une tactique périlleuse: jouer avec de nouvelles règles sans changer la composition de son équipe. Quitte à risquer les cartons rouges.