A un mois jour pour jour du grand référendum alsacien sur la mise en place du Conseil Territorial d'Alsace (CTA), un sondage CSA commandé par trois médias régionaux annonce une abstention probable d'environ 50 %. Comme une tradition en Alsace où peu importe l'élection, les électeurs désertent les urnes.
Attention scoop ! Ce matin, à la une des trois grands médias locaux (Dernières Nouvelles d'Alsace, l'Alsace, France Bleu), trois chiffres. Ou plutôt trois pourcentages. 75 %, 49 % et 45 %, les chiffres-clés du futur referendum sur la création du CTA. Soixante-quinze pour cent, comme la part de sondés qui s'estime favorable au projet de CTA. De quoi faire sourire Philippe Richert, fer de lance du projet de fusion territoriale. 49 et 45 pour cent, comme la part d'intention de vote déclarée respectivement dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Et quarante-sept pour cent d'intention de vote en moyenne, ça fait 53 % d'abstention probable. Pour un référendum censé dessiner l'avenir de la région, c'est quand même beaucoup.
L'abstention en Alsace, un mal profond
Alors quoi, les Alsaciens se désintéresseraient de l'avenir de leur région ? Un peu simpliste. De fait, lorsque l'on se penche sur les chiffres de l'Insee, on s'aperçoit qu'ils aiment simplement moins voter que le reste de leurs compatriotes. Et ce, peu importe le type d'élection. Régionales 2010, 2è tour : 5 points d'abstention de plus que la moyenne nationale. Législatives 2012 : 8 points de plus. « Un vieux mécanisme lié à l'histoire, assure Richard Kleinsmager, politologue à l'université de Strasbourg. Il règne en Alsace un sentiment d'abandon par la France, et ce depuis l'époque de la colonisation. » Il semble guère n'y avoir qu'une présidentielle pour réussir à appâter l'électeur alsacien jusqu'à l'urne : lors de l'élection de François Hollande, les taux d'abstention alsaciens étaient sensiblement les mêmes que dans le reste du pays. Mais si les inscrits s'étaient déplacés en masse, c'était pour voter Nicolas Sarkozy (à 63 %). Décidément, l'électeur alsacien ne fait rien comme tout le monde.
Le scénario de l'apocalypse
Pourtant, d'autres raisons peuvent partiellement expliquer cette désaffection électorale : le sondage du CSA nous apprend que seuls 7 sondés sur 10 ont « entendu parler du référendum ». Là encore, c'est peu pour un événement politique de cette ampleur. Mais rassurons-nous, la campagne officielle ne débute que le 25 mars prochain. A l'heure où fleuriront les affiches et pulluleront les tracts, nul doute qu'il sera bien difficile au contingent de votants d'ignorer l'échéance. Pourtant, rien ne dit qu'ils s'y intéresseront, selon Richard Kleinsmager : « Avec la crise économique qui traverse l'Alsace, l'émergence d'un nouveau mécano institutionnel n'est pas la priorité ». Or, pour que le « oui » l'emporte, il ne doit pas seulement réunir la majorité des votants, mais également un minimum de 25 % des inscrits. « Même s'il semble acquis que le « oui » l'emporte, il va falloir mobiliser l'électorat, déclare l'expert, et faire campagne en ville, là où les électeurs s'investissent le moins. » De fait, si l'on prend en exemple les élections cantonales de 2011, le taux d'abstention strasbourgeois flirtait avec les 65%, bien au-dessus de la moyenne départementale. Et avec 65 % d'abstention dans le Bas-Rhin, la victoire du « oui » pourrait bien passer à la trappe légale, indique le sondage. En Alsace, il serait donc possible de perdre un référendum... en réunissant 75 % des votes. L'apocalypse démocratique, en somme.
Thibault Prévost