Fatigués, déprimés, surmenés… Des créateurs de contenus ultra populaires ont récemment annoncé leur burn-out sur les réseaux sociaux. Décryptage avec le psychologue Michaël Stora.
De plus en plus d'influenceurs ou de youtubeurs se confie, via leurs réseaux sociaux, sur leur santé mentale. © Kristina Alexandersson
Ces derniers mois, plusieurs youtubeurs ont avoué à leurs abonnés vouloir faire une pause avec les réseaux sociaux et notamment YouTube. Ils évoquent notamment un rythme intense dans la production de contenu, la compétition féroce entre eux, mais aussi le harcèlement. Janvier 2022, Mastu (5,8 millions d’abonnés) se livre dans une vidéo facecam intitulée sobrement « Ma dépression ». Suivi par des fans jusqu’à son domicile, le créateur de contenu de 25 ans a décidé de faire une pause de trois mois et appelle aujourd’hui ses collègues à ne plus cacher leur éventuel malaise.
En mars 2023, le duo le plus iconique de Youtube, McFly et Carlito (7,2 millions d’abonnés) déclare être « en bon gros burn out ». Ils mettent en pause temporairement leur chaîne avant de revenir en septembre 2023. Puis vient le tour de l’influenceuse Lena Situations (2,67 millions d’abonnés) qui a annoncé en juillet 2023 avoir été hospitalisée à cause du stress qu’elle avait accumulé au cours des derniers mois. Le dernier en date est le créateur de contenu préféré des internautes : Squeezie (18,7 millions d’abonnés). Dans une vidéo publiée le 22 janvier dernier, le youtubeur qui a commencé en 2008 a annoncé prendre du recul. « On va faire une petite pause YouTube. Pas très longue. Deux, trois mois », a-t-il déclaré dans la vidéo, trois jours après la sortie du documentaire consacré à son parcours, Merci Internet, sur Amazon Prime Video.
Mais pourquoi le burn-out est-il de plus en plus répandu chez les créateurs de contenu ? Explications avec Michaël Stora - psychologue et fondateur de l'Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines - quelques jours après que le Premier ministre, Gabriel Attal, a dit vouloir faire de la santé mentale des jeunes « une grande cause ».
Comment se fait-il que de plus en plus de personnes s’expriment sans tabou sur le burn-out ?
La parole se libère chez eux. Ils vont jusqu’à expliquer pourquoi ils ne sont pas bien et pourquoi ils ont besoin d’arrêter ou de faire une pause dans leur contenu. Il est important de constater que ce sont très souvent des hommes alors que les problèmes psychiques ont jusqu’à maintenant été principalement abordés par les femmes. Ce sont les avantages collatéraux du phénomène #MeToo, que je soutiens totalement. Les hommes ont cette envie de quitter certaines positions virilistes dans lesquelles ils étaient cantonnés jusqu’à maintenant.
Quels sont les problèmes qui reviennent chez les créateurs de contenus ?
Sur les plateformes, on a affaire à deux types de personnes. Les influenceurs lifestyle et les créateurs de contenus. Les influenceurs lifestyle cherchent à augmenter leur audience pour « vendre » un mode de vie très idéaliste. Mais on constate que la frontière entre réalité et monde virtuel s’efface. On voit notamment beaucoup d’influenceurs attirer l’attention par la tristesse, ce qu’on appelle le « sadfishing » [exprimer sa tristesse, son désarroi, voire ses angoisses sur les réseaux sociaux et attirer plus d’abonnés, ndlr]. Cette méthode marketing est totalement dans l’air du temps. Ces personnes semblent plus fragiles mentalement et donc sont plus touchées par un éventuel burn-out. Elles supportent moins bien les commentaires négatifs ou un certain désamour de la part des internautes. On a l’exemple parfait avec Lena Situations, présente sur les réseaux sociaux et YouTube, qui subit régulièrement des vagues de harcèlement et de haine par rapport à ses origines, son corps… etc. En fait, internet devient la réalité.
Comment cette tendance est-elle perceptible chez les créateurs de contenus, qui, eux, n’abordent pas explicitement leur vie privée sur les réseaux ?
Depuis quelques mois, c’est l’hécatombe chez des youtubeurs comme Squeezie, McFly et Carlito ou encore Lena Situations. Ils deviennent de plus en plus exigeants avec eux-mêmes pour satisfaire les personnes qui les suivent. C’est finalement un cercle vicieux car plus ils produisent, plus les internautes en redemandent. Ils subissent une pression pour faire la différence par rapport aux autres et dans un domaine où un véritable esprit de compétition règne.
Pensez-vous que les plateformes ont une responsabilité dans ce « trop-plein » que subissent certains YouTubeurs ?
Les plateformes contribuent clairement à un certain épuisement des youtubeurs. D’abord du fait qu’ils cherchent à nous rendre accro aux créateurs de contenus et aux contenus en tant que tels. Il y a quelque chose de très toxique là-dedans avec cette course à la reconnaissance chez les youtubeurs.
Propos recueillis par Azilis Briend
Édité par Alexia Lamblé