La Cour européenne des droits de l’homme a condamné, ce mercredi 14 septembre, l’Etat français, pour s’être opposé au rapatriement de deux femmes et trois enfants détenus en Syrie.
Il resterait à ce jour plus de 160 mineurs et une soixantaine de mères de nationalité française dans les camps syriens. Photo Libre
L’exécutif, qui décidait jusqu’à présent seul du rapatriement des femmes et enfants de djihadistes, va devoir se plier à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Grande Chambre, sa plus haute instance, exige de l’Etat qu’il entoure « le processus décisionnel de garanties appropriées contre l’arbitraire » afin de respecter l'article 3 § 2 du Protocole n° 4 (« Nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'État dont il est le ressortissant ») de la Convention européenne des droits de l'Homme. Dans le cas de « circonstances exceptionnelles », telles que celles concernant les proches de ressortissants ayant rejoint l’Etat islamique, les gouvernements devront se doter d’un organe indépendant, pas forcément juridictionnel, afin de statuer sur leur retour.
Arrêt de Grande Chambre H.F. et autres c. France - examen des demandes de retour des filles et petits-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie https://t.co/I7x2KKFEKt#ECHR #CEDH #ECHRpress pic.twitter.com/ikV9vruvwM
— ECHR CEDH (@ECHR_CEDH) September 14, 2022
Deux refus de rapatriement sont remis en cause
Cette décision fait suite à la saisine, par deux couples de Français, de la Cour, après le refus des autorités de rapatrier leurs filles et leurs petits-enfants, retenus dans les camps d'Al-Hol et de Roj depuis début 2019, par les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie. Les quatre requérants soutenaient le fait que cette inaction violait plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme en exposant notamment leurs proches à des « traitements inhumains et dégradants ». La Cour a tranché en leur faveur. Leurs requêtes devront être réexaminées « dans les plus brefs délais » par le gouvernement français, qui sera cette fois tenu de justifier sa décision de rapatrier, ou non, leurs proches devant une structure indépendante.
Particulièrement meurtrie par les attentats, la France a toujours fait preuve d’une ligne dure en comparaison de ses voisins, malgré les interpellations des instances nationales et internationales ces dernières années, dont le Comité des droits de l’enfant de l’ONU au mois de février. Alors que la Belgique, le Danemark, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas et l’Allemagne ont décidé de rapatrier l’ensemble des proches de djihadistes, Paris a jusqu’à présent jugé au cas par cas. Si la Cour ne remet pas en question cette politique, puisqu’elle ne consacre pas un « droit général au rapatriement » pour les personnes toujours retenues dans les camps syriens, elle demande toutefois à l’Etat de rendre des comptes. La tâche risque d’être lourde en sachant que la France est le pays européen dont le plus grand nombre de citoyens, environ 1 700, ont rejoint les rangs de l’organisation islamique en Syrie depuis 2014.
« C'est la fin du fait du prince et la fin de l'arbitraire »
« On n’a pas attendu la décision de la CEDH pour avancer, a assuré Olivier Véran, porte-parole du gouvernement lors du compte-rendu du conseil des ministres à la mi-journée. Cet été, la France a procédé au rapatriement de 16 femmes et d’une trentaine d'enfants. » Seulement 161 enfants, dont les parents avaient rejoint l'État islamique, ont été rapatriés en France depuis 2016. Avant ce dernier retour cet été, il restait près de 200 mineurs et 80 mères dans des camps du Nord-Est syrien contrôlés par les Kurdes. « Nous avons déjà fait évoluer les règles d’examen et de rapatriement », s’est défendu Olivier Véran. Insuffisant, si l’on en croit la Cour qui a condamné la France, non seulement à revoir son mode de décision, mais aussi à verser 18 000 et 13 200 euros aux deux couples ayant saisi la juridiction européenne pour frais et dépens. « C'est la fin du fait du prince et la fin de l'arbitraire », a commenté Me Marie Dosé, l'une des avocates des quatre requérants.
Audrey Senecal
Édité par Joffray Vasseur