Un chèque alimentaire pour lutter contre la précarité alimentaire, comme le propose Christiane Taubira ? Bien, mais insuffisant. Le Secours Catholique-Caritas revient sur ce qu'il faudrait - vraiment - faire pour éradiquer la faim en France.
La qualité est un critère très souvent oublié de la précarité alimentaire. © Mack Male
La proposition aurait pu passer inaperçue. Mardi, la candidate à la présidentielle Christiane Taubira a annoncé sa volonté d’instaurer un chèque alimentaire de 150 euros à destination des plus précaires. Et inciter par la même occasion à l’achat de produits alimentaires bio, plus durables. Une annonce bienvenue mais largement inaboutie.
Une mesure à l’allure de « premier pas » pour Marie Drique, spécialiste de l’accès à une alimentation digne au sein de l’association Secours Catholique-Caritas. « Ce dispositif montre une prise de conscience des enjeux liés à l’accès à l’alimentation, explique-t-elle à Cuej-info. De plus, le format chèque peut être intéressant sur l'aide d'urgence : on voit qu'il est apprécié par les ménages en difficulté. » En effet, il permet de faire ses courses « comme tout le monde » et de moins recourir aux autres dispositifs comme les distributions alimentaires. « Il ne faut pas oublier que l’alimentation est un sujet intime. De nombreuses personnes peuvent ressentir de la honte à demander de l’aide ».
Si la mesure a le mérite de mettre en lumière un véritable enjeu de société, « attention cependant à la multiplication des aides disparates sans réelle concertation avec les personnes impliquées », souligne Marie Drique. Où les chèques seront-ils valables ? Ces établissements sont-ils à disposition partout sur le territoire ? Quels seront les produits éligibles ? Est-ce qu’ils répondent aux besoins des personnes en situation de précarité, à leurs habitudes et envies alimentaires ? Autant de questions auxquelles la proposition de Christiane Taubira ne répond pas - pour l’instant -, pourtant essentielles pour éradiquer la précarité alimentaire.
S’il est une preuve de confiance envers les ménages en situation de précarité, ce chèque est loin d’être suffisant pour lutter contre un fléau structurel. Ainsi, le Secours-Catholique-Caritas appelle plutôt à une prise en charge globale du problème. « Sans opter pour un chèque fléché aujourd'hui, nous pensons qu'il y a trois grands leviers d’action que nous pensons déterminants : les ressources financières, assurer la disponibilité d'une offre alimentaire durable et accessible physiquement, et l’implication des ménages dans leurs choix alimentaires », détaille Marie Drique.
Rehausser le RSA
En effet, dans son rapport sur l’état de la pauvreté en France en 2020, le Secours Catholique-Caritas plaide pour la mise en place de minimas sociaux plus conséquents, avec une révision du RSA de 500 à 900 euros. Représentant ainsi la moitié du niveau de vie médian des Français, évalué à un peu plus de 1 800 euros. « 50% des personnes que nous avons interrogées pour notre rapport se sentent en incapacité d’agir sur leurs choix alimentaires pour des raisons financières », alerte Marie Drique.
Autre enjeu d’importance et pourtant bien souvent oublié des débats politiques : la question d’une alimentation saine et durable. « On pense souvent à la quantité lorsque l’on parle de la précarité alimentaire et on omet de mentionner la qualité et surtout le lien social derrière nos manières de nous alimenter », rappelle Marie Drique. Selon le rapport du Secours Catholique-Caritas, « plus le revenu faiblit, plus on risque d’être victime de maladies ‘alimentaires’ : on retrouve une plus forte prévalence de maladies chroniques (hypertension artérielle, diabète, etc.), de surpoids et d’obésité parmi les populations défavorisées ». Aussi, 82% des personnes ayant reçu une aide d'urgence de l'association en 2020 se disaient préoccupées des effets de leur alimentation - souvent low-cost - sur leur santé.
L’alimentation durable, grande oubliée de la précarité
D’autre part, à l’heure du réchauffement climatique, l’enjeu environnemental de l’alimentation est extrêmement fort. « Il faut une approche globale : comment peut-on mettre en place un système plus durable pour les écosystèmes et les populations ? » Sans surprise, cela passe par une véritable transition alimentaire et agricole et un meilleur maillage territorial des offres alimentaires de qualité.
Enfin, dernier levier d’action : l’implication des personnes dans leurs choix alimentaires, qui tient à la dignité citoyenne. « Il y a un enjeu social très fort à ne pas nier la capacité des personnes en situation de précarité à prendre leurs propres décisions. Nous tenons à faire de l’éducation populaire pour former à la prise de parole et redonner confiance aux personnes qui ont souvent une image dégradée d’elles-mêmes. » Partir de l’expérience des personnes concernées, pour changer efficacement les choses. « Il faut une appropriation collective des enjeux alimentaires, main dans la main avec les premiers intéressés. Ils représentent les acteurs essentiels de la lutte contre la précarité. »
Eléonore Disdero